Mardi, 17h20.

Boujéma avait passé beaucoup de temps avec Andy... Il remonta ensuite dans le bureau de Zymot.
L'inspecteur s'était absenté mais un autre officier lui dit qu'il était en entretien avec le commissaire. Il pouvait l'attendre dans le bureau. Sur l'écran de son ordinateur, Zymot avait laissé le fichier sur lequel il avait enregistré sa conversation avec Anthony ainsi qu'un message : "Affaire probablement terminée pour nous. Parti faire le point avec le commissaire".
Le psychologue s'installa dans le fauteuil de l'inspecteur et il activa le fichier.

"- Alors, Anthony. Il va falloir que je te repose quelques questions.
- Oui.
- Sache tout d'abord que ta garde à vue est presque terminée. Tu vas pouvoir rentrer chez toi, avec l'obligation néanmoins de revenir ici à chaque fois que nous en aurons besoin, jusqu'au procès.
- C'est vrai ?
- Oui, mais à une condition... Il y a un petit détail qui nous manque dans tout ce que tu nous a raconté, et qui pourrait nous aider à reconnaître celui qui a frappé Mme Autard.
- Lequel ?
- Quand vous êtes entrés dans l'appartement, où était posé le chandelier qui a servi de matraque à l'un de tes camarades ?
- Je ne sais pas.
- Il était dans le couloir ?
- Oui, sûrement.
- Donc tu n'as pas vu qui l'as pris.
- Non, ça c'est sûr... Je ne savais même pas que c'était un chandelier.
- Tu es bien sûr de ça ?
- Oui.
- Si l'un de tes camarades avait pris le chandelier dans le hall, avant de partir dans le couloir, tu l'aurais vu n'est-ce pas ?
- ... Non, il faisait noir.
- La dernière fois, tu nous as dit que tu étais sûr que ni Michael, ni Andy ne l'avait pas pris dans le hall. C'est que tu les voyais suffisamment bien, non ?
- ... Oui, mais je ne suis pas sûr.
- Tu n'es pas sûr de quoi ?
- ...
- Si tu me mens, tu ne vas pas rentrer chez toi. Si tu me mens, toi et tes deux camarades vous allez partir en détention provisoire. Tu sais ce que ça veut dire ?
- Mais pourquoi vous me dites ça ? Vous m'avez dit que j'allais partir !
- Je t'ai dit qu'il fallait d'abord que tu me dises la vérité !
- Non ! moi, je vous ai dit la vérité mais vous voulez m'obliger à parler pour que je dise n'importe quoi ! Vous voulez nous foutre en prison tous les trois !
- Je veux savoir qui a frappé Mme Autard !
- Non ! vous vous en foutez ! Vous voulez me coller en taule, comme les autres ! Vous êtes un ...
- Attention à ce que tu vas dire, Anthony ! Si tes deux copains et toi vous refusez de dire la vérité, c'est moi qu'on va croire, et moi seul !"
Boujéma entendit des bruits qui indiquaient qu'Anthony commençait à s'énerver de manière inquiétante. Le ton monta et, probablement, il renversa sa chaise. Le "docteur" crut comprendre que Zymot s'était levé et l'avait attrapé. Il le replaçait sur sa chaise en lui criant de se calmer et il menaça même de l'attacher.
Manifestement, Anthony se calma suffisamment pour que l'interrogatoire reprenne.
"- Anthony ?
- ...
- Anthony ?
- ...
- Tu a compris que je savais où était placé le chandelier. Pourquoi est-ce que tu continues à mentir ?
- ...
- Il faut que tu me dises une seule chose. Je ne peux pas t'envoyer en prison si je sais que ce n'est pas toi qui as frappé. Je n'en ai pas le droit... Mais tu m'as menti... Donc je pense maintenant que c'est toi qui a pu frapper Mme Autard.
- Non !
- Est-ce que tu peux me jurer que tu es resté dans le hall. Est-ce que tu me le jures ?
- Oui, je le jure sur la tête...
- D'accord, je te crois. Alors pourquoi est-ce que tu ne me dis pas qui est coupable ?
- On l'a juré...
- Quand ?
- Juste après.
- Tous les trois ?
- ...
- Anthony, réponds-moi.
- Michael et moi.
- Est-ce que tu es sûr que les autres n'ont pas parlé ? Peut-être qu'ils ont déjà tout dit. Toi, tu résistes, tu es courageux mais...
- Moi, je ne suis pas courageux ! J'ai peur ! Mais lui, il ne vous dira rien, jamais.
- Qui ?
- Il est très fort, très très fort.... Il ne vous dira jamais rien... Sinon vous ne m'embêteriez plus, pas vrai ? Ah, vous voyez. Il ne vous a rien dit du tout.
- Michael ?
- ... Foutez-moi la paix, je veux sortir. Vous me l'avez promis. Moi, j'ai rien fait.
- Tu n'as rien fait... Et pourtant tu vas retourner en prison.
- Non !"
C'est à ce moment-là que Zymot avait arrêté l'enregistrement et probablement ramené Anthony dans sa cellule. En retraversant le sous-sol, Boujéma était tellement absorbé par sa conversation avec Andy qu'il n'avait pas pensé à jeter un œil dans les autres cellules.
Il attendit encore quelques minutes dans le bureau, puis Zymot vint le rejoindre.

"- Alors, inspecteur ?
- Alors l'affaire nous échappe et va suivre un cours tout à fait normal. Le procureur a désigné un juge d'instruction et deux des gamins partiront dès demain en détention provisoire.
- Andy et Michael ?
- J'ai plaidé le fait qu'Anthony avait un temps soit peu collaboré avec nous et donné quelques informations. Il semble beaucoup plus fragile qu les deux autres et pourrait plus facilement décider de coopérer si nous le laissions en liberté surveillée.
- Cela a suffi ?
- En fait, il a aussi été aidé par le rapport du médecin qui a expertisé la blessure de Mme Autard : le coup a probablement été porté par un individu droitier et mesurant plus d'un mètre soixante... Anthony est gaucher et mesure un mètre cinquante-deux. Cela ne fait pas une certitude mais, au total, le procureur a accepté de le rendre à sa famille... C'est tout ce que j'ai pu faire, Aziz.
- Je sais... Et quel est celui qui "ne nous dira jamais rien" ?
- Michael, très probablement.
- Est-ce que c'est lui qui a frappé, d'après toi ?
- Je pense simplement qu'Anthony parlait de lui... et qu'effectivement il n'est pas prêt à changer d‘attitude. Et toi, que penses-tu de la personnalité des trois gamins ?
- Je pense que, pour un même comportement de défense, nous avons trois profils très différents. Et finalement, pour aucun des trois, nous n'avons vraiment réussi à contourner leur scénario de défense. Anthony pense nous en avoir suffisamment dit, Michael reste drapé dans sa supériorité et Andy se considère de plus en plus comme une victime. En deux jours, les trois se sont construits une conscience assez solide pour nous résister. Parmi eux, je pense effectivement que les deux agresseurs les plus probables restent Andy et Michael. Soit Michael a frappé, peut-être de sang-froid, et a fui sous la pression des deux autres. Dans ce cas, Andy est à la fois l'ami et le complice de Michael et il ne sait plus trop où il en est. Soit Andy a frappé, sous le coup de la panique, et Michael veut nous montrer que, même s'il n'est pas coupable, il n'a pas peur de nous affronter.
- ...
- Alors, inspecteur ?
- Alors Anthony va rentrer chez lui, ce qui n'est pas tout à fait normal mais bon... Pour Andy et Michael, comme tu l'as dit, l'un est agresseur et l'autre est complice, ce qui suffit pour justifier deux mises en détention... De toute façon nous n'avons plus le temps de les interroger une nouvelle fois.
- Tu pourrais essayer de les mettre face à face.
- Ça aura sûrement lieu à un moment donné de l'enquête, mais pas pour l'instant. Ce genre de confrontation doit répondre à des règles très strictes : elle doit être demandée par le juge d'instruction et la présence d'avocats est obligatoire... Tu sais, l'enquête ne fait que commencer, on finira par tout savoir. Et puis, si Andy et Michael vont en prison, c'est qu'ils l'ont décidé. Si l'un d'eux change d'avis, son cas sera revu.
- ...
- Je dois préparer mon fax de conclusion pour le juge d'instruction. Si ça ne te dérange pas, je vais demander à rester associé à l'enquête et aussi à ce que tu puisses continuer d'y participer. En tant qu'expert.
- Quel honneur. Pourquoi pas... Est-ce que je peux retourner voir Andy, une dernière fois avant qu'il ne soit transféré ?
- Tu penses obtenir quelque chose ?
- Rien de précis mais j'aimerais quand même garder un contact avec lui.
- Tu avais obtenu quelque chose pendant que j'interrogeais Anthony ?
- Non. Mais le dialogue est ouvert.
- Descends au sous-sol, je vais prévenir les gardiens. S'il te dit quelque chose, je reste encore ici pendant à peu près... une demi-heure. Après je devrai partir. Dans tous les cas, je te rappellerai pour te donner les décisions du juge.
- Alors à la prochaine, inspecteur. »

 

Mardi, 17h52.