Somewhere in Time

C3 : Je reçois en permanence des images et des sons venus du entier.


Somewhere in time... 

 

Comme Aldayan posait sa main droite sur le prisme, le sens de son existence sembla soudain lui traverser l'esprit.
Les premières images furent les plus douloureuses : la mort de son jeune frère dans la rivière, les massacres d'Eldien, son entrée forcée dans l'ordre élégiaque. C'était là le départ de tout.

Et puis son personnage commença à se construire : les discours, les marches, les combats... La découverte de ses dons et de ses pouvoirs qui lui avaient permis de s'élever au-dessus des autres guerriers. La solitude aussi. Les épreuves de la vie qui devenaient plus faciles en même temps que son esprit s'ouvrait aux dimensions de l'univers. Devenir fort, mais jusqu'où ? Et dans quel but ?
Les images défilaient de plus en plus vite. Son esprit s'échappait doucement de son corps.
En serrant le prisme un peu plus fort, le visage de son grand-père lui apparut : cet étrange personnage qu'il n'avait rencontré qu'au bout de ses premières aventures mais qu'il avait l'impression de connaître depuis toujours...
Oui, il le connaissait depuis longtemps. Son visage lui revenait et s'insérait au milieu des souvenirs qui avaient marqué son existence. Il était resté là, près de lui, mais sans jamais rien dire.
Aldayan avait toujours pensé que leur rencontre ne devait rien au hasard. Son grand-père était un homme puissant, rusé et avide de pouvoir. Il était vénéré pour avoir ramené la paix après les grands massacres mais Aldayan sentait bien que les choses n'étaient pas si simples. Pourtant il lui avait obéi et lui avait accordé toute sa confiance. Il avait pris tous les risques pour venir à bout des épreuves qu'il lui avait assignées.
Mais leur rencontre ne devait certainement rien au hasard : il voulait quelque chose et comptait sur Aldayan pour l'obtenir. Certes il lui avait enseigné de nombreux savoirs et l'avait guidé dans sa prodigieuse découverte de la psychomancie. Mais plus Aldayan devenait fort, plus il semblait vouloir l'éloigner des lieux de sa famille et des terres de son enfance.
Aldayan comprenait à quel point la psychomancie était une science étrange et fascinante. Ce pouvoir de toucher un objet et de pénétrer son histoire : connaître ceux qui ont croisé sa route, revoir les événements survenus à son contact. Avec ce pouvoir, les vérités ne meurent plus avec ceux qui peuvent en témoigner : un sabre n'oublie pas ses crimes, une maison sait tout de celui qui l'habite, une lettre garde la main et le visage de celui qui l'a écrite... Parmi les élégiaques et les écoliens, nombreux étaient ceux qui avaient eu l'intuition de ce pouvoir fantastique mais bien peu en avaient acquis la véritable maîtrise. Une fois assuré de ce nouveau pouvoir, son grand-père avait fait de lui son missionnaire à travers l'empire pour régler les conflits internes, les sécessions, les brigandages... Mais toujours de plus en plus loin.
Un jour, Aldayan serait capable d'appliquer la psychomancie directement aux personnes vivantes et, dès lors, plus personne n'aurait la possibilité de lui mentir. Avec ses autres pouvoirs de guerrier, plus rien ne lui serait vraiment impossible.
Mais pour l'instant, Aldayan sentait son pouvoir de psychomancie s'appliquer à lui-même. Et quelque chose n'allait pas.
Comme si quelqu'un l'avait toujours suivi. Comme s'il n'avait jamais été celui qu'il croyait être. Comme si, durant toute sa vie, aucun des choix qui l'avaient mené jusqu'à ses victoires n'avaient été vraiment le sien. Depuis le début, quelqu'un le suivait et, discrètement, l'emmenait sur les chemins qu'il avait choisis pour lui... Il sentait cela depuis déjà quelques temps. Il en avait maintenant la certitude. Quand il saurait qui, il saurait tout.
Combien de hasards avait-il fallu pour qu'il arrive à poser la main sur ce prisme ? Il devait le garder dans sa main. Des visages apparaissaient dans son esprit et devenaient de plus en plus clairs. Que faisaient-ils tous ici ?
Son intuition le rappela soudain vers son enveloppe charnelle. S'il n'était pas seul, alors probablement était-il en danger... Son esprit s'était élevé au-delà de ce qui était raisonnable, son corps restait inerte et sans défense. Des visages apparaissaient de plus en plus. Les mêmes souvenirs mais de plus en plus clairs. Les images lui revenaient comme jamais il ne les avaient vues. Il était capable de se déplacer dans ses propres souvenirs et de les comprendre au-delà de ce que lui-même avait vécu. Oui, quelqu'un était bien caché près de la rivière. Mais pourquoi n'était-il pas intervenu ? Quel traître l'avait frappé par derrière pour l'empêcher de retourner jusqu'à Eldien ? Qui avait livré la ville aux massacreurs ?...
Il n'était pas seul ! Quelqu'un tournait autour de lui en s'approchant de plus en plus. Quelqu'un qui semblait hésiter mais qui n'aurait aucun mal à l'abattre aussi simplement que s'il le frappait dans son sommeil. Aldayan n'avait jamais pris autant de risques...

Affichage :
L'indice de risque est au-delà de 90% (danger imminent), souhaitez-vous lâcher le prisme ? Votre temps d'hésitation peut amener à une modification irrémédiable de vos paramètres. Souhaitez-vous sauvegarder la partie ? Interrompre ?

Il était déjà bien plus de 19h30 et la porte commençait à trembler de manière menaçante. Arnold se résolut à éteindre son ordinateur et à quitter sa chambre.

Il revint à son bureau vers 21h15 et ouvrit sa page Web.

"Actualité (mots-clés) :
Dans la fusillade des Tamaris, nouveau témoignage sur les doutes quant à l'identité de l'une des victimes. Un témoin présent lors du règlement de compte et lui-même blessé par un éclat reçu à l'oeil gauche affirme que l'un des quatre malfrats visés par les tueurs aurait échappé au massacre. Selon ce témoin, l'homme aurait quitté la table de ses complices et se serait rendu aux toilettes peu avant l'arrivée du commando équipé d'armes automatiques. Après le carnage, et avant l'arrivée de la police sur les lieux, il aurait subtilisé les papiers d'identité d'un homme abattu par erreur et aurait réussi à disparaître. L'homme semblait réellement terrifié par ce qui venait de se passer.
Le hasard a voulu que personne, jusqu'alors, n'ait été capable d'identifier le corps de la victime laissée sans identité et considérée donc comme un complice des trois autres gangsters abattus.
Un dernier membre du gang P. court-il toujours sous une fausse identité ? Ce nouveau témoignage pourrait amener la police, mais aussi les tueurs du commando, sur de nouvelles pistes.
Fiabilité : 57%
Source : XPedro anynews
Chercher confirmation on wide world web ? Dialoguer ?"

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"Actualité (flow) :
La généralisation des voitures à motorisation électrique pose de nouveaux problèmes de sécurité. En cause : le bruit ou plutôt l'absence de bruit.
Depuis plusieurs semaines maintenant, les accidents se multiplient du fait de l'absence presque totale de bruits émis par ces nouveaux véhicules non polluants.
Témoignage - C. Rallot-Courtand, experte en sécurité automobile :
"La transition entre véhicule à essence et véhicule électrique ne peut pas être une chose évidente pour les conducteurs. Les dernières études montrent que près de 50% des réflexes liés à la conduite sont en fait déclenchés par des stimulations auditives. Entouré par des véhicules électriques, un conducteur ne possède plus que des repères visuels et toutes les informations qui ne sont pas directement inscrites dans son champ de vision lui échappent. Pour les piétons, la situation est encore pire : impossible d'entendre à temps un véhicule électrique vous arrivant dans le dos."
La solution envisagée pour régler ce problème grandissant tient en deux mots : le Pilotage Assisté (PA).
Témoignage - A. Bérévant, représentant de l'industrie automobile :
"Tout véhicule doté d'un dispositif de PA est équipé de radars directionnels permettant au calculateur d'éviter tout obstacle détecté à une distance de sécurité de moins de 2,5 mètres. Le conducteur reste maître de la direction et de la vitesse du véhicule mais avec un système de protection de 360° autour de lui. Les statistiques sont formelles quant à l'efficacité du PA : aucun accident mortel n'a jusqu'alors été constaté sur les véhicules équipés d'un dispositif intégral."
PA : Pilotage Assisté ou Pilotage Automatique ? En effet, les associations d'automobilistes considèrent le PA comme une "déresponsabilisation totale du conducteur". Dans les centres-villes surpeuplés de voitures et d'obstacles en tout genre, le PA ne laisse pas de véritable marge de manoeuvre au conducteur. Associé à un système de localisation (GPS ou autre), le conducteur n'a quasiment plus rien à faire qu'à surveiller distraitement le bon fonctionnement du système.
A l'heure où les associations de victimes de la route demandent une proposition de loi visant à rendre le PA obligatoire, un nouveau débat s'annonce entre les notions de responsabilité et de sécurité. A suivre.
Fiabilité : 95%
Source : Events Web
En savoir plus ? Déposer votre avis sur un site de consultation publique."

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Actualité (flow) :
Un résultat surprenant dans l'enquête menée par la commission parlementaire sur l'orientation et l'insertion professionnelle. Si certaines filières, pourtant très prometteuses en termes d'emplois, peinent à séduire et à recruter de jeunes volontaires, il en est d'autres qui, paradoxalement, refusent chaque année de plus en plus de candidats malgré des débouchés pourtant très limités.
Exemples : les médecins légistes et les... thanatopracteurs !
En effet, s'il est évident que la mort a exercé de tout temps une fascination certaine pour l'esprit humain, cette fascination prend de nos jours une tournure de plus en plus concrète.
Comment expliquer cet intérêt croissant pour les "métiers de la mort" ?
Selon une psychologue spécialiste du monde de l'adolescence :
"La mort représente de nos jours la seule véritable limite, la seule frontière du monde actuel, le seul pas vraiment irréversible.
Pour de multiples raisons, le temps et l'espace ne nous apparaissent plus comme des frontières ou des limites. Pour beaucoup de jeunes intéressés par ces métiers, il s'agit de se confronter aux aspects les plus concrets et les plus palpables de la mort pour se familiariser avec sa dimension irréversible. Et, probablement, pour mieux surmonter les angoisses qui vont avec."

Arnold consulta ensuite le dossier envoyé par le moteur de recherche auquel il s'était abonné pour une recherche sur les "civilisations précolombiennes" : Mayas, Incas, Aztèques.

Le dossier comprenait plusieurs séquences vidéos sur les cités perdues du Yucatan, au Mexique. Tikal... Copan... Palenque... Uxmal... Chichen Itza... Arnold fut fasciné par les images et les reconstitutions de Palenque : une immense cité abandonnée au milieu de la jungle équatoriale. Un palais royal, un temple du soleil, une ville entière et plus personne. Des pyramides bâties les unes sur les autres si bien qu'en perçant la base on pouvait pénétrer dans des édifices de plus en plus anciens, de plus en plus secrets.
Toute cette civilisation balayée par l'invasion des conquistadores : Cortés, Pizarro...
Saturé d'informations, Arnold jeta ensuite un oeil aux questions qu'il avait rédigées et envoyées au moteur de recherche. Il retrouva un certain nombre de dates et de lieux dont il avait besoin, ainsi qu'une carte à télécharger sur les principales implantations précolombiennes.
Par contre, il fut surpris par la réponse donnée à sa dernière question.

"Question : En combien de temps Hernan Cortés a-t-il conquis la civilisation Maya ?
Réponse : Attention ! Cortes n'a pas détruit la civilisation Maya, celle-ci avait déjà quasiment disparu, pour d'autres raisons, plusieurs siècles auparavant. Vous confondez avec l'Empire aztèque. Lorsqu'en 1524 Cortés traversa le Yucatan à la tête de son armée espagnole, il passa sans même le savoir tout près des fabuleuses cités mayas dont les ruines intactes dormaient déjà depuis des siècles sous la jungle".
Passer si près d'une civilisation, et ne même pas l'apercevoir...

Arnold hésita un long moment avant d'éteindre son ordinateur. Il laissait son personnage - Aldayan - dans une situation délicate mais il était déjà 0h15 : il n'aurait pas la force de jouer plus d'une vingtaine de minutes.
Il fit le tour de ses contacts web mais aucun (du moins parmi ceux qui l'intéressaient) n'était disponible. Il décida d'aller dormir.

 Comme à chaque moment de flottement ou de vagabondage, c'est l'image d'Aldayan qui envahit l'esprit d'Arnold.

Le jeune garçon savait qu'il était capable d'y penser à n'importe quelle heure du jour et de la nuit.
Depuis quelques semaines, toutes ses émotions passaient par l'image d'Aldayan et de son univers magique : l'envie de se battre, la soif de découverte, le désir de devenir chaque jour plus puissant... Tout se traduisait par des paysages de ce monde dangereux et mystérieux où Arnold avait pris l'habitude d'évoluer plusieurs heures par jour.
Dangereux et mystérieux... rien à voir avec sa propre vie.
Son dernier réflexe avant de s'endormir était de rêver à la psychomancie : tenir un objet dans sa main et tenir une corde pour traverser le temps et l'espace.
Tenir une pièce de monnaie, un vieux livre, une clé...
Un objet usé nous ramène toujours à quelque chose qui vivait avant nous et qui n'existe plus... Vivre avant, ne plus exister. Dormir.
Comme un cadavre. Un corps qui ne vit plus mais qui est là. Que pense alors celui qui le touche ? Au bout d'un moment, il fait ce qu'il a à faire et n'y pense même plus. Mais alors tout disparaît.
Un homme qui est mort regarde son propre cadavre. Mais ce n'est pas lui. Il a changé d'identité. Il regarde cette personne que tout le monde pense être lui. Il le touche. Il assiste à son enterrement et commence la nouvelle de vie de celui à qui il a dérobé son identité.
La route est longue. Avancer comme dans un désert. Mais il y des choses que l'on ne voit pas... Non, comme dans une forêt. Là il est possible de se cacher ; il est possible de chercher quelque chose.
Une maison. Le silence. Les objets. Même le silence peut cacher des choses...

Je pénètre dans une pièce. Obscure. Une lumière me permet de regarder autour de moi. J'ai le sentiment que quelqu'un m'observe. Je dois être prudent. Deux questions se posent : où suis-je ? Qui me regarde ? C'est sûrement lui qui m'a fait venir jusqu'ici. Mais existe-t-il vraiment ?
Je décide de ne pas bouger. La lumière. Le silence. Si quelqu'un me suit, alors il restera toujours dans l'obscurité. Je dois avancer dos à la lumière. Mais je n'y vois plus rien. Je tends les mains autour de moi. Quelqu'un passe, je le sens. Je touche un mur. Je dois ramper. Passer sous le mur. Quelqu'un m'attend...
Je suis assis dans une grande salle, très lumineuse. Un homme est assis en face de moi. Il me parle gentiment. Je crois qu'il me félicite. Son air est agréable mais je ne comprends pas ce qu'il dit. C'est un homme important. Une autre personne est assise à ma droite. Je la reconnais. Évidemment c'est elle. Mais pourquoi ne dit-elle rien ? Elle ne me regarde même pas. L'homme s'est levé. Il veut me remettre quelque chose. Il me sourit. Il me tend un livre et me remercie. C'est gentil mais qu'est-ce que je vais bien pouvoir en faire ? Merci. Je veux sortir... C'est une immense salle.

Si je suis vigilant, alors je peux tout comprendre. Tout est inscrit quelque part. Il faut observer, écouter, réfléchir.
Si je soulève une branche, une liane, alors je peux découvrir une maison, un palais perdu, une cité entière. Je ne dois pas avancer trop vite mais quelqu'un me pousse, m'appelle. Taisez-vous ! Taisez-vous tous !!
Ça y est. La cité se dessine sous mes yeux. Il n'y a personne mais tout est en place. Quelqu'un a vécu ici et a laissé des traces. Des constructions. Et pourtant je suis seul...
Je peux aller soit au coeur soit au sommet de la pyramide. Il y a un souterrain et un escalier. J'ai l'impression d'emprunter les deux chemins à la fois. Non, je descends au coeur de la pyramide. Mais il n'y a rien. Au sommet, je peux observer toute la forêt à mes pieds. A perte de vue. Elle recouvre tout. Il n'y a rien de visible au-dessous d'elle. Au-dessus, il y a le ciel. A perte de vue. Il n'y a rien de visible à travers lui...
Quelqu'un crie. Mes amis m'appellent. Je les rejoins. Nous marchons en groupe dans les couloirs d'un bâtiment. Il y a des escaliers, des fenêtres, de nombreuses portes. Certains proposent de se séparer et de partir chacun de son côté. Mais non. Ce serait stupide. J'essaie de les raisonner : "Pourquoi voulez-vous vous séparer alors que nous ne savons même pas ce que nous faisons ici ? Il faut d'abord se mettre d'accord sur ce que nous cherchons. Écoutez-moi !"
Plusieurs sont partis, mais je ne les aime pas. Un jour, il faudra que je leur dise clairement ce que je pense d'eux. Les autres sont restés. Je les reconnais. J'espère qu'ils vont me suivre.
Je ne sais pas où aller mais je sais que si nous observons tout, alors nous comprendrons. Rien ne doit nous échapper. Nous ne sommes pas ici par hasard. Je dirige les recherches...
Qu'est-ce que me voulait ce type ? Pourquoi m'a-t-il offert ce livre ? Il doit y avoir des réponses mais je n'ai pas envie de l'ouvrir. Il est dans mon sac. Finalement, j'ai bien envie d'y jeter un oeil mais je continue à avancer.
Je veux mettre ma main sur quelque chose. Placer un objet au creux de ma paume et refermer mes doigts tout autour. Alors je saurai.
Je referme ma main sur une pièce. Mais elle disparaît. Non, je dois trouver quelque chose qui dépasse, qui soit rattaché au sol, à un mur. Comme pour m'y accrocher. Une poignée de porte. Un plot planté dans le sol. Un cristal. Un prisme. Mais non, ça n'existe pas. Alors il faut ouvrir le livre...

C'est quand même bizarre de vouloir travailler avec des morts. Voir à quoi ça ressemble, d'accord. Mais passer toutes ses journées à s'occuper de cadavres... Remarque, on n'est que rarement emmerdé par les clients dans ce type de métier. Mais, à la longue, ça doit rendre fou. On finit par s'imaginer soi-même sur la table. Juste avant de mourir, on fait le compte de tout ce que le type qui s'occupera de vous aura à faire. C'est... technique. Mais après ?
En fait, j'ai l'impression qu'on ne meurt jamais. On change d'identité. On continue à vivre mais plus personne ne vous connaît. Comme ce type aux Tamaris...
Peut-être que tous les gens qui nous entourent sont déjà morts plusieurs fois et qu'on ne les voit en fait que sous leur dernière identité. Papa, maman, untel, tous. Et nous, un jour. Mais, une fois que cela nous arrive, on comprend que c'est un secret et qu'il ne faut absolument le révéler à personne : alors on n'en parle plus. Sauf avec ceux dont on est sûr qu'ils ont aussi une identité cachée. Avec eux, oui, on peut discuter.
J'aimerais bien en rencontrer un et lui expliquer que j'ai tout compris et que l'on peut en parler. Mais il ne me croirait pas. Peut-être même qu'il essaierait de me faire taire... Il vaut mieux se méfier. Observer. Ne faire confiance à personne.
Si on est vigilant, on peut tout comprendre. Mais personne ne nous dit rien.
Ou alors, on peut tout inventer. Mais alors il est difficile de savoir ce qui est vrai et ce qui est faux. On peut vivre plusieurs sortes de vie et choisir ce que l'on veut garder de chaque. Comme un ordinateur. On vit plusieurs choses à la fois et on stocke les informations. On garde tout. Il n'y a plus de limites.
Ne rien effacer, jamais... Je sauvegarde, au cas où...
Je me demande si on va vraiment tous rouler en voitures électriques avec pilote automatique... J'ai lu aussi que les Japonais (ou les Coréens) voulaient construire des tours de plus de 5 km d'altitude qui regrouperaient chacune plus d'un million d'habitants. Ceux qui habiteraient les étages les plus élevés ne sortiraient quasiment jamais de leur bâtiment... Mais bon, ils auraient tout à l'intérieur, d'un étage à l'autre : écoles,loisirs, magasins, terrains de sport...
Ça serait super, une nuit, de se balader seul dans une tour de cette taille là. On partirait du dernier étage et puis...

Au petit matin, Arnold ouvrit les yeux et regarda à côté de lui.
Comme chaque jour, il savait qu'il lui faudrait attendre au moins dix bonnes heures avant de pouvoir allumer son ordinateur.
A son âge, il était convaincu que, d'ici-là, il ne se passerait rien d'important dans sa vie...