Mardi, 17h52.

Boujéma redescendit dans le couloir qui menait aux cellules. Il passa devant celle d'Anthony, puis celle de Michael. Le petit Anthony regardait dans le vide. Le « docteur » lui adressa un léger sourire auquel le jeune garçon ne répondit pas, la mâchoire agitée par des sortes de tics nerveux. Michael, lui, était toujours allongé et dormait ou faisait semblant de dormir en affichant un masque serein pour ceux qui viendraient l'observer.
Un gardien ouvrit la cellule d'Andy. Celui-ci était assis dans un coin de la pièce.
« - Comment vas-tu ?
- Ça dépend. Je réfléchis.
- ... Ta garde à vue est presque terminée, Andy. Et, comme l'inspecteur Zymot ne sait pas qui a frappé Mme Autard, Michael et toi allez être placés en détention provisoire.
- ... Combien de temps ?
- Je ne sais pas. Ça dépendra de vous. »
Boujéma sentit qu'une bouffée de larmes remontait dans la gorge d'Andy. Mais le jeune garçon serra les dents. Sur son banc, il restait adossé au mur de la cellule en laissant une place à côté de lui. Boujéma s'assit lui aussi.

 

« - Est-ce qu'elle est morte ?
- Non, mais on ne sait pas si elle s'en sortira.
- ...
- J'aimerais que tu m'expliques quelque chose... Pourquoi avez-vous eu l'idée de faire un cambriolage ?... Est-ce que vous comptiez en faire d'autres ?
- ... Non, c'était juste pour une fois.
- Tu avais besoin d'argent ?
- ...
- Andy ?
- ...
- Andy, dans un groupe, chaque individu joue un rôle bien particulier... Vous, vous étiez trois, n'est-ce pas ?
- ... Oui.
- C'est Michael qui a décidé du cambriolage. Il n'y a que lui qui ait une personnalité assez forte pour préparer un coup pareil sans en avoir vraiment besoin... C'est à lui qu'Anthony a tout raconté sur Mme Autard, pourquoi pas à toi ?
- Parce qu'ils se connaissent mieux... Ils se connaissent depuis qu'ils sont petits.
- Est-ce que tu sais pourquoi Michael déteste tout le monde ?
- Non.
- C'est curieux comme attitude.
- Je sais qu'il ne s'entend pas avec ses parents... Ils ne se disputent pas mais il leur parle à peine... Et tous les professeurs ont peur de lui.
- Toi, tu l'aimes bien, pas vrai ?
- ... A chaque fois que je me fais disputer par un professeur, il prend ma défense. Une fois, j'ai été renvoyé de cours et il a crié que c'était pas normal. Il a pris ses affaires et il est parti avec moi... Il parle bien... même avec les adultes. Lui, il sait se défendre.
- Est-ce que tu sais ce qu'il nous a dit depuis qu'il a été arrêté ?
- Non. Mais il a dû vous dire que vous n'aviez pas le droit de nous accuser. Que la vieille n'avait qu'à fermer sa porte et ne pas raconter à tout le monde qu'on pouvait rentrer chez elle.
- Oui, il parle bien... Qu'est-ce qu'il vous a dit à propos de l'argent que vous deviez prendre chez Mme Autard.
- Il disait qu'on le garderait. Il nous fallait de l'argent pour faire quelque chose plus tard. Il en piquait déjà régulièrement chez ses parents. Anthony l'avait fait aussi, une ou deux fois.
- Toi, non ?
- Chez moi, on n'a pas beaucoup d'argent. Si j'en prends, ça se voit tout de suite.
- Donc, toi, tu n'apportais jamais d'argent ?
- Michael disait que ce n'était pas grave. Que, de l'argent, on en aurait plus tard pour tous les trois.
- Qu'est-ce que vous vouliez faire plus tard ?
- Partir quelque part. Avec beaucoup d'argent, on aurait pu faire ce qu'on voulait... Moi, j'en ai marre de l'école et de mes parents. Michael aussi... Mais si j'avais su...
- Si tu avais su quoi ?
- ... Je ne sais pas.
- Vous avez tenté votre chance, non ?
- Ça a mal tourné.
- C'était un risque à prévoir, non ?
- ...
- Ça a dû te faire bizarre de rentrer comme ça chez quelqu'un d'autre, non ?
- ...
- Beaucoup de cambrioleurs ont des émotions particulières quand ils pénètrent chez des gens qu'ils ne connaissent pas... Ils entrent dans une maison et pensent que tout ce qui est à l'intérieur leur appartient. Comme s'ils y avaient toujours vécu. Certains fouillent très vite et ils s'enfuient mais d'autres prennent leur temps. On pense qu'ils ne cherchent que de l'argent mais, en fait, ils vivent tous des émotions fortes.
- ...
- Je vais te donner trois possibilités pour me répondre... Je t'ai dit que, quand nous vivons des émotions fortes, il y a des images qui nous viennent dans la tête... En entrant chez Mme Autard, tu avais plutôt l'impression d'être un explorateur, un criminel, ou un méchant petit garçon ?
- ...
- Je suis sûr que, quand tu as ouvert la porte, tu as ressenti quelque chose de fort. Comme tu ne l'avais jamais ressenti auparavant...
- ...
- C'est toi qui as ouvert la porte ?
- ... Oui.
- Alors, tu t'en souviens. Quand tu as poussé la poignée, quand tu as senti la porte s'ouvrir... quand tu es entré chez Mme Autard.
- ...
- Souviens-toi.
- ... Plutôt la première possibilité... et un peu la troisième.
- Tu étais content, mais tu avais peur d'être découvert.
- Oui.
- Qu'est-ce que Michael vous a dit à ce moment-là ?
- ... Anthony avait peur. Il faisait du bruit et il a fait tomber un chandelier qui était posé près de la porte... Michael lui a dit de se taire et de ne plus bouger... Avec sa lampe de poche, on a regardé l'entrée et le séjour, et on s'est dit qu'on les fouillerait en dernier...
- Ensuite ?
- ...
- Je te jure que ce que tu me diras ici ne sera pas répété à l'inspecteur.
- ...
- Qu'est-ce que tu as pensé quand le chandelier est tombé par terre ?
- ... J'ai eu peur. J'ai entendu un autre bruit qui venait du couloir.
- Tu avais l'impression que quelqu'un s'était réveillé ?
- J'avais l'impression que quelqu'un me regardait. Que quelqu'un savait que nous allions venir et qu'il nous attendait.
- Quelqu'un avec un chien ?
- ... A chaque fois que j'ai peur, j'ai toujours l'impression qu'il y a un chien.
- Alors, est-ce que c'est toi qui a ramassé le chandelier quand il est tombé par terre ?
- ... Oui.
- Et tu te souviens de ce que tu as fait ensuite avec ce chandelier ?
- ... Oui, je l‘ai gardé à la main.
- ... Est-ce que c'est toi qui as frappé Mme Autard avec ce chandelier ?
- ... Oui.
- ...
- Je ne l'ai pas fait exprès.
- ... Elle n'est pas morte, tu sais. Elle a des chances de s'en sortir... Michael t'a défendu. Anthony aussi. Personne n'a dit que c'était toi.
- ...
- Michael et toi allez être placés en prison. Moi, je ne peux rien faire pour l'éviter. C'est à vous de décider de ce que vous voulez dire aux policiers. Si tu penses sincèrement que tu n'as pas fait exprès et que tu regrettes ce qui s'est passé, alors je t'aiderai à l'expliquer. Mais, si tu décides de faire comme si rien ne s'était passé, alors c'est un vrai docteur qu'il te faudra.
- A cause de vous, je vais être condamné.
- Ça dépend. Est-ce que tu veux que j'appelle l'inspecteur Zymot pour que tu lui expliques ce que tu as fait ?
- Non.
- Moi, je ne lui dirai rien. De toute façon, il ne pourra rien décider si ce n'est pas toi qui lui parles.
- ...
- Que tu parles ou pas, tu vas vivre une période très difficile et personne ne changera ce qui s'est passé. D'une manière ou d'une autre, l'inspecteur Zymot trouvera la vérité. Il aura le temps de vous interroger. Si tu veux lui parler, je pourrai t'aider à lui expliquer les choses mais je ne pourrai rien faire de plus. Si tu tais, alors cela ne servira à rien que je revienne.
- ...
- Tu as besoin de réfléchir... Si tu as peux et si tu veux me parler de quelque chose, l'inspecteur me préviendra mais cela restera toujours entre nous.
- ... Et Michael ?
- Michael, lui aussi, a le choix. Je pense que tout au fond de lui il a peur de ce qui va lui arriver mais personne ne peut décider à sa place... Pour toi non plus. Au revoir, Andy. A demain, peut-être.
- A demain, docteur. »

Aziz Boujéma quitta la cellule et retraversa le couloir. Avant de quitter le sous-sol, le « docteur » put constater qu'Anthony n'était déjà plus là et que Michael faisait toujours semblant de dormir.

 

Un des Trois...