Le Pays de Plus Loin

 Le Pays de Plus Loin

 

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" Vous savez, epoï, quand j'étais enfant, je n'avais jamais vu de belle carte des Terres Australes comme celle que vous avez devant vous. Je ne savais même pas ce que cela voulait dire.
Moi, je ne connaissais que mon village et les terres qu'il y avait autour ; tout ce que je savais du monde était que je n'avais ni le droit de pénétrer dans la forêt ni celui de franchir la rivière...
Alors, imaginer comme vous un itinéraire tout tracé pour atteindre les Grandes Barrières... je n'y aurais jamais pensé.
J'ai beaucoup voyagé mais, non, vraiment, ce n'est pas comme cela que je suis arrivé jusqu'ici. J'ai dû avancer pas à pas... Comment vous expliquer cela ? "

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" Quand j'étais petit, mes camarades et moi avions l'habitude de chanter, dans notre langue, une vieille comptine qui, en fait, servait à se moquer des petits curieux qui posaient trop de questions. C'était une très jolie chanson.
Je vais vous traduire les paroles :
Où sommes-nous ? Nous sommes ici.
Et plus loin qu'ici ? C'est ailleurs.
Et plus loin qu'ailleurs ? C'est je-ne-sais-où.
Et plus loin que je-ne-sais-où ? C'est... plus loin.
Et après ? Mais plus loin ne s'arrête jamais.


Pour moi, "ici" signifiait notre village et nos terres que je connaissais par coeur. "Ailleurs", c'était au-delà de la rivière : je savais qu'une longue route pouvait nous mener vers des villes et vers d'autres villages mais je n'y étais jamais allé. Alors, vous pensez bien que les pays de "je-ne-sais-où" et de "plus loin"... je ne pouvais même pas les imaginer. "

 

 " Pourtant, un beau jour, j'ai décidé de partir. Mon village s'appelait Lodeïma. Je ne sais pas ce qu'il est devenu aujourd'hui.
Si je suis parti, c'est que j'étais fasciné par un peuple que l'on appelait les Emisaï. C'était un vieux peuple de marchands et de colporteurs qui étaient perpétuellement en voyage. On les reconnaissait à leur taille assez petite, à leurs cheveux et à leur barbe en broussaille. Ils parlaient presque toutes les langues mais avec, à chaque fois, un accent rocailleux qui faisait rire tout le monde... Chaque année, ils traversaient notre village avec leurs chariots tirés par des Elids. Ils étaient très sympathiques mais ils étaient, surtout, de farouches négociateurs.
Chaque année, donc, ils déballaient devant nous des matières et des objets venus de toutes les régions du monde : des tissus, des bois précieux, des pierres de toutes les couleurs mais aussi des céréales, des épices, des petits animaux... Tout cela venait d'ailleurs et de je-ne-sais-où... et peut-être de plus loin encore.
Et, pendant que les artisans, les femmes et les enfants se bousculaient autour des tables et des chariots, les pères de notre village prenaient à part les pères Emisaï pour leur demander des nouvelles du reste du monde. J'adorais me cacher près d'eux pour les écouter. J'entendais des noms de villes, de villages, de personnages importants... Et j'essayais d'imaginer ce qui pouvait bien se cacher derrière ces noms.
Tout cela n'existait que dans mes rêves jusqu'à ce que d'autres événements ne me poussent à partir. En effet, pour que je puisse m'installer, avoir une femme et une famille, mes parents ont voulu acquérir pour moi une terre près du village... Je me souviens qu'il s'agissait d'un très joli champ qui longeait la rivière : une bonne terre facile à cultiver. Mais, entre la forêt et la rivière, il n'y avait pas de place pour tout le monde : une autre famille souhaitait installer un de ses fils sur cette parcelle. Il y eut une... rivalité assez forte pendant quelques temps. Je n'appréciais pas cette animosité et, au fond, je n'étais pas prêt à me battre pour devenir paysan. Alors j'ai négocié une somme d'argent, j'ai convaincu mes parents et j'ai accepté de partir.
Comme la forêt ne m'attirait pas, j'ai traversé la rivière et j'ai commencé à suivre la route. "

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" Ensuite ? Et bien, au début, mon but était de rejoindre une caravane d'Emisaï et de les accompagner dans leurs voyages. Mais ceux que j'ai croisés ont toujours refusé.
En fait, j'ai appris par la suite que les Emisaï étaient un peuple souvent méprisé, voire détesté par la plupart des autres peuples des Terres Australes. Ils étaient flattés de voir le respect que je leur portais mais ils ne voulaient pas accepter un étranger parmi eux. Cela ne leur aurait attiré que des problèmes, ainsi qu'à moi.
Néanmoins, l'un d'eux m'expliqua que, si les Emisaï s'occupaient de faire du commerce dans les campagnes, le commerce des villes, lui, était tenu surtout par des Haràn ou des Hodin : des peuples auxquels je n'aurais aucun mal à m'associer. Cet Emisaï s'appelait Ar et il m'indiqua la route de la ville de Mentem-Ba. "

 

 

 

" Dans mon enfance, Mentem-Ba était vraiment "ailleurs" : c'était une ville dont j'avais beaucoup entendu parler mais que je n'avais encore jamais vue. Le jour où j'y suis entré, je me suis aperçu que cette ville n'avait rien à voir avec tout ce que j'avais pu imaginer...
Je pensais que, contrairement à mon village, toutes les villes étaient construites avec de grands bâtiments en pierres blanches ; que les rues y étaient propres et les habitants bien habillés. En fait, Mentem-Ba était une ville surtout faite de bois et de boue.
En dehors du quartier central qui entourait le palais du gouverneur, toutes les rues étaient occupées par des marchands et des artisans qui travaillaient à un rythme frénétique, sans se soucier vraiment de la propreté des rues ou de l'élégance de leurs vêtements. La ville hurlait et se bousculait dans tous les sens comme un immense marché : le plus grand que l'on puisse imaginer.
Tous les produits du monde étaient rassemblés là pour être ensuite revendus et redistribués à travers tout le pays. C'était là que les Emisaï venaient approvisionner leurs caravanes. L'un d'entre eux m'expliqua que Mentem-Ba était la plus grande ville de toutes les plaines de Ba. Elle avait l'avantage d'être traversée par le fleuve Elipo et d'être le point de rencontre de toutes les grandes routes qui traversaient les plaines de Ba : tous les chemins de la région menaient aux marchés de Mentem-Ba. Tous les peuples y cohabitaient dans la frénésie du commerce.
Et c'était donc cela le pays de "ailleurs" qui s'étendait au-delà de ma rivière : une immense plaine au centre de laquelle une grande cité aspirait toutes les richesses et faisait vivre les routes du commerce. "

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" Comment ?... Non, je ne suis pas parti tout de suite. Pendant de longues années, j'ai sillonné les plaines de Ba dans tous les sens possibles et imaginables. D'abord pour le compte des marchands Hodin avec lesquels je m'étais associé puis pour mon propre compte.
Peu à peu, j'ai appris à connaître chaque route, chaque ville et chaque village. Partout où je passais, je savais quels étaient les langages parlés, les usages de politesse et, surtout, les matières et les objets fabriqués par les habitants. Je n'ai jamais pensé à dessiner de carte mais, après chaque voyage, je faisais rédiger des listes et des itinéraires pour les vendre ensuite à d'autres commerçants.
A plusieurs reprises, j'ai pu visiter la capitale des plaines de Ba : Mana-Otalàn était bien plus petite que Mentem-Ba mais chaque bâtiment était une oeuvre d'art en pierres blanches. La ville du seigneur Otalàn correspondait bien à l'image que je me faisais des villes dans mon enfance... mais il n'y en avait qu'une.
Au bout de quelques années, j'ai gagné beaucoup d'argent grâce au commerce des tissus et des métaux. J'en faisais venir de grandes quantités à bon marché pour les revendre dans les boutiques de Mentem-Ba. Ensuite, je me suis adressé aux riches habitants du quartier central de la ville qui, eux, avaient des goût plus raffinés.
Pour répondre à leurs attentes, je profitais de mes bonnes relations avec les Emisaï qui sillonnaient le pays en permanence. Ils me signalaient les artisans exceptionnels (tailleurs, orfèvres...) qu'il leur arrivait de rencontrer et me faisaient parvenir leurs produits en priorité. Je les payais bien en retour et, surtout, je continuais de les traiter avec le même respect que quand j'étais enfant.
Grâce au commerce de ces produits de luxe, j'ai finalement pu m'installer quelques temps dans les maisons du quartier central de Mentem-Ba : je rencontrais les administrateurs, les banquiers... et même le gouverneur. Moi qui venais de mon petit village, je donnais maintenant des nouvelles de tout le pays de Ba aux plus importants personnages de la ville... "

 

 

 

" Quand j'ai voulu fonder une famille, j'ai choisi de m'installer et d'arrêter de voyager. Et puis je trouvais que le métier de commerçant était assez risqué : je pouvais devenir très riche mais, au moindre problème, je pouvais rapidement tout perdre.
J'ai quitté Mentem-Ba pour m'installer dans une autre ville : Elobi, à l'extrémité des plaines de Ba. Elle était située sur une terre de collines, au pied des montagnes Tarobi.
C'était une ville beaucoup moins grande et beaucoup moins riche que Mentem-Ba mais j'ai pu facilement y devenir banquier et être employé comme conseiller du gouverneur.
J'étais très loin du village de mon enfance mais j'ai pu me marier, avoir des enfants et vivre heureux avec tout ce dont j'avais besoin. De ma maison, je pouvais chaque matin voir le jour se lever sur les sommets des monts Tarobi. J'étais fasciné par ces montagnes : pour nous, elles étaient infranchissables. Seules quelques tribus nomades (les Ridu, les Elfan ou les Idus) parvenaient à les traverser. Chaque année, ils échangeaient du bois, du sel et des fourrures contre de la nourriture. Ces peuples nous semblaient particulièrement sauvages (ils étaient assez violents et leurs langages étaient incompréhensibles) mais, à la demande du gouverneur, j'ai réussi à nouer des contacts réguliers avec quelques tribus pour obtenir certains minerais précieux que nous n'avions pas chez nous. Je ne savais pas du tout comment ils se les procuraient... A chaque fois que quelqu'un me demandait : "Mais d'où viennent donc ces pierres ?", je haussais simplement les épaules en répondant : "Elles viennent de je-ne-sais-où". "

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" Installé à Elobi, le pays de "je-ne-sais-où" était donc là, devant mes yeux. C'était une succession de montagnes escarpées peuplées par des tribus sauvages et incompréhensibles. Personne, de son propre choix, n'avait envie de s'y aventurer... Il a vraiment fallu attendre de grandes catastrophes pour que nous soyons obligés de nous y réfugier.
En fait, c'est à cette époque qu'éclata la Grande guerre des Pays de Ba. Au départ, il s'agissait d'une querelle de succession entre les deux fils du seigneur Otalàn. Et puis cela a dégénéré en une guerre de peuples qui, jusque là, avaient pourtant réussi à vivre ensemble...
Elobi était très éloignée de Mana-Otalàn et de Mentem-Ba : la ville ne fut pas directement touchée par les combats mais, à cause des populations qui venaient s'y réfugier, elle fut frappée par une terrible épidémie. Les habitants mouraient les uns à côté des autres et deux de mes enfants furent emportés par la maladie. Nous ne pouvions ni fuir ni attendre de l'aide : le reste du pays était ravagé par les combats. Les populations continuaient à partir et, derrière elles, des bandes de pillards commençaient à se rapprocher de notre ville.
Il n'y avait plus d'autre choix que de partir vers les montagnes mais c'était extrêmement dangereux : ceux qui avaient essayé de trouver des passages n'étaient presque jamais revenus.
Un des chefs de la tribu des Idus proposa de m'emmener avec ma famille et mes serviteurs et de me guider jusqu'à l'intérieur des montagnes où, disait-il, il existait des villages dans lesquels nous pourrions nous installer.
Ainsi, un soir où des pillards Isong avaient réussi à s'introduire dans la ville, j'ai rassemblé ma famille, mes serviteurs et les richesses que nous pouvions emporter et nous avons rejoint la tribu Idus qui nous a conduit à travers le pays de "je-ne-sais-où". "

 

 

 

" Si vous saviez... J'ai connu dans les monts Tarobi les aventures les plus passionnantes et les plus terribles de toute ma longue vie. Même si je le voulais, je ne pourrais pas tout vous raconter...
En fait, le pays de "je-ne-sais-où" n'était pas seulement constitué de montagnes abruptes, de plateaux arides, de froid et de brouillard... Il fallait apprendre à le connaître mais chaque découverte se payait au prix fort... Chaque nouvel espoir était suivi d'un nouveau drame...
Nous n'avons pas pu rester longtemps avec la tribu des Idus. Une fois passés, grâce à eux, les premiers dangers, ils se mirent à convoiter les richesses que nous avions emportées avec nous. Les disputes et les bagarres se sont multipliées. Alors nous nous sommes enfuis pour devenir nous-mêmes des nomades.
Personne ne peut dire combien de temps nous avons erré parmi les montagnes.
A des peuples de bergers, nous avons acheté des animaux pour constituer notre propre troupeau. A plusieurs reprises, nous avons essayé de nous installer mais, à chaque fois, nos campements ont été attaqués et nous avons dû repartir. Il n'y avait pas de place pour nous...
Pour survivre, nous avons cultivé la terre, chassé, élevé des animaux, creusé des mines... Nous avons appris à fabriquer nos propres maisons, nos vêtements et nos armes. Nous avons appris à nous protéger du froid, à soigner nos blessures, à surmonter notre fatigue. Et, surtout, nous avons appris à reconnaître les montagnes, à ne plus nous perdre, à ne plus tourner en rond, à ne plus faire demi-tour ; avec les attaques des nomades, c'était bien cela qui était le plus terrible et le plus décourageant.
Nous avons affronté et vaincu des dangers que vous n'imaginez même pas mais, finalement, notre plus gros travail fut de tracer des pistes et des itinéraires : pas pour le commerce, cette fois, mais pour être capables de fuir, de se réfugier et de se retrouver sans se perdre dans les neiges ou s'écraser aux pieds des escarpes. Pour survivre... "

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" Eh bien... pour en finir avec les dangers des montagnes Tarobi, nous avons dû franchir un immense plateau désertique : sur votre carte, il s'appelle le Makad.
Je me souviens que le paysage ressemblait étrangement à celui des plaines de Ba... sauf qu'il n'y avait rien ni personne.
Nous avons donc traversé le Makad en rêvant aux plaines riches et fertiles que nous avions laissées derrière nous. Cela semble anodin mais plusieurs d'entre nous ont sombré dans le désespoir et la folie. Pour les autres, il fallait avancer et trouver, chaque jour, de l'eau et de quoi se nourrir. Et aussi se méfier des serpents. Mais nous en avions fini avec les attaques des nomades. Pour survivre dans les Tarobi, il aurait fallu que nous soyons prêts à nous battre en permanence. Or, chaque compagnon que nous perdions au combat ne nous donnait qu'une seule envie : partir. Les nomades, eux, passent leur temps à se venger.
Une fois passé le Makad, nous sommes entrés dans les montagnes de Tym : nous les voyions chaque jour marquer l'horizon du Makad mais nous avions l'impression de ne jamais les atteindre.
Le chemin restait difficile mais les combats étaient terminés... La paix, epoï, la paix. Souvenez-vous que, malgré toutes nos souffrances, la paix a toujours été l'obsession de notre famille. "

 

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" Non, les montagnes de Tym n'étaient pas aussi terribles que les Tarobi. Non, vraiment pas.
Dans les montagnes de Tym, nous avons rencontré des peuples de bergers beaucoup plus amicaux et beaucoup plus accueillants. Leurs villages ressemblaient à celui de mon enfance. Nous avons enfin pu déposer nos bagages et nous reposer un peu.
Des quarante personnes que nous étions le soir où nous avons fui Elobi, nous n'étions plus que huit. Ma femme - votre grand-mère - était très affaiblie mais elle avait survécu à la traversée du Makad. Il me restait encore deux de mes fils - Eltoï et Edan, vos pères - et Eridan, mon premier petit-fils, né durant la traversée. Sa mère faisait partie de la tribu Idus mais elle avait choisi de nous suivre. Et, en plus de mes derniers serviteurs (dont deux sont encore vivants aujourd'hui), le reste de notre troupe était composé de nomades des montagnes qui s'étaient joints à nous et nous avaient accompagnés jusque là. Au total, notre "tribu" comptait environ une trentaine d'individus.
Il nous a fallu quelques temps pour comprendre le langage des bergers. Puis nous avons compris que, jusqu'à notre venue, ils n'avaient jamais vu personne arriver jusqu'à leurs montagnes en traversant le plateau du Makad. Par contre, ils nous parlèrent de villes et de villages situés plus loin, dans la direction opposée, au bord de l'Idrasa (nous ne comprenions pas de quoi il s'agissait). Pour remercier les bergers, nous leur avons laissé la moitié de nos animaux et nous sommes repartis dans la direction qu'ils nous avaient indiquée.
Plus nous avancions, plus le paysage s'adoucissait. Les pentes devenaient moins raides, les routes étaient plus régulières et, petit à petit, nous sentions des odeurs étranges portées par les vents. Des odeurs un peu piquantes mais assez agréables. Il m'arrive encore de les sentir aujourd'hui alors que, vous, vous n'y avez jamais vraiment fait attention...
Passé le col, nous découvrîmes un panorama magnifique qui marquait la fin de notre voyage : les villages étaient là, à nos pieds, alignés le long de l'océan qui s'étendait à l'infini. Il n'y avait plus d'horizon. Nous ne pouvions pas aller plus loin mais il y avait de la place, de l'eau et de la nourriture pour tout le monde...
Je me souviens que, à l'instant où mes yeux ont découvert pour la première fois l'océan, j'ai entendu résonner en moi-même la chanson de mon enfance : "Plus loin ne s'arrête jamais". "

 

 

" Vous voyez, j'étais déjà vieux lorsque je me suis installé ici. Nous avons fondé ce village et depuis, à part Eridan, vous y êtes tous nés. Un jour, nous nous sommes arrêtés face au "pays de plus loin" qui n'avait pas de fin...
Pour vous, Lodeïma-Na est votre point de départ alors que, pour nous, ce fut la fin d'un très long voyage. Quand j'avais votre âge, je n'imaginais même pas que le monde puisse être si grand.
Après notre arrivée, vos pères et nos compagnons se sont mis au travail. Grâce aux habitants de l'Idrasa, ils sont devenus pêcheurs et charpentiers et ils se sont lancés à la conquête de la mer alors que, moi, je n'y ai jamais mis les pieds...
Il a fallu apprendre une nouvelle langue - la vôtre - de nouveaux usages et construire de nouvelles maisons. Mais, cette fois, il y avait de la place pour nous et personne ne voulait nous faire partir... Votre grand-mère a pu mourir en paix sur cette nouvelle terre.
Vous tous, depuis que vous êtes tout petits, vous passez vos journées sur la mer et vous savez que chaque bateau essaie d'aller plus loin que les autres... Moi, j'ai longtemps pensé qu'il était stupide de vouloir aller toujours plus loin sur un territoire infini... mais mon avis n'a plus beaucoup d'importance.
Il y a quelques temps, un équipage d'Idrasa a réussi à longer les côtes, à contourner les montagnes jusqu'à l'embouchure d'un fleuve qui traverse une immense plaine. D'après ce qu'ils m'ont raconté, j'ai compris qu'il s'agissait du fleuve Elipo et, depuis, des bateaux sont remontés jusqu'à Mentem-Ba.
Aujourd'hui, il existe des cartes qui, sur un seul dessin, rassemblent tous ces immenses territoires que je vous ai racontés : les plaines de Ba, Mentem-Ba, Mena-Otalàn, les monts Tarobi, le plateau de Madak, les montagnes de Tym, les plaines d'Idrasa et l'océan Idrisien.
Ici, ailleurs, je-ne-sais-où, plus loin : pour moi, c'est l'histoire d'une longue vie... "

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" Je sais que, pour vous, les choses sont très différentes. Votre histoire commence "ici" : à Idrasa où vous êtes nés.
"Ailleurs" c'est l'océan sur lequel vous naviguez et que vous apprenez à découvrir...
Et voilà que, à l'extrême soir de ma vie, j'apprends que les équipages de vos frères et de vos cousins ont atteint de nouvelles terres situées au-delà de l'horizon. Elles sont probablement "je-ne-sais-où" et je ne serais pas surpris que certains d'entre vous caressent le rêve d'y débarquer un jour.
Et après ? Vous aurez peut-être, plus tard, la chance ou la nécessité de dépasser les limites mêmes de votre imagination pour aller contempler le pays de "plus loin" qui ne s'arrête jamais.
Bonne nuit à tous, chers epoï."