Mardi, 16h.

Zymot et Boujéma descendirent au sous-sol du commissariat et pénétrèrent, accompagnés d'un policier, dans un couloir où se trouvaient quelques cellules individuelles. Tout semblait propre et bien entretenu. Le policier ouvrit d'abord la première cellule, celle d'Anthony. Pinter Zymot lui demanda de le suivre, ce qu'il fit avec un large sourire : Boujéma sentait à quel point ce sourire pouvait désormais irriter le jeune inspecteur.
Le policier conduisit ensuite le psychologue jusqu'à la troisième cellule, celle d'Andy. La deuxième était celle de Michael, Boujéma y jeta rapidement un regard pour voir le jeune garçon allongé par terre, les yeux vers le plafond, sans émotion particulière.
Andy, lui, était assis. Il accueillit son visiteur avec un léger sourire.
"- Re-bonjour Andy, comment vas-tu ?
- Re-bonjour docteur.
- Tu m'appelles encore docteur... tu penses vraiment que je vais te guérir de quelque chose ?
- ... J'en ai marre qu'on me pose des questions.
- Je sais mais..."
Boujéma n'osa pas achever sa phrase. Le garçon se mit à respirer fort et à sangloter. Le psychologue eut peur que, comme le matin, cela ne dégénère en une crise spectaculaire mais Andy resta assis. Il se recroquevilla sur lui-même et prit sa tête entre ses mains.
A quels sentiments correspondaient ces pleurs ? Voulait-il éviter de répondre à toute nouvelle question ? susciter de la pitié ? refouler les reproches qui le tourmentaient ? Probablement un peu de tout cela mélangé à beaucoup d'autres choses.
Il sentait qu'Andy dépensait de grandes quantités d'énergie pour se défendre : par ses pleurs, ses regards, ses doutes, ses silences... Au bout d'un tel effort, peut-être réclamerait-il une période de calme, de répit pendant laquelle il accepterait de parler un peu, à condition de ne plus se sentir accusé.
Andy faisait des efforts visibles pour contrôler ses larmes : une crise comme celle du matin lui aurait facilement permis de mettre un terme définitif à la visite du psychologue. Comme il restait calme, malgré ses sanglots, Boujéma se sentit toléré. Le jeune garçon portait un secret et il portait la solitude de ceux qui portent un secret...

 

Il s'assit calmement près d'Andy, sans le regarder. Il prit un mouchoir et le posa sur le banc, entre eux deux. Il ne vit pas à quel moment le jeune garçon finit par le prendre. Andy semblait se calmer petit à petit, et le "docteur" lui promit qu'il ne parlerait pas de Mme Autard.
Il commença alors à lui raconter une petite histoire. Une qui débutait par : "Tu sais, il y a quelques temps, j'ai connu un jeune garçon comme toi. Je vais te dire ce qui lui est arrivé...".
Dans cette petite aventure, il était question d'un personnage sympathique - qui ressemblait, mais pas trop, à Andy - qui avait commis une erreur et qui était désespéré parce que ceux qui l'accusaient n'étaient pas capables de le comprendre. Lui, il leur parlait, mais personne ne l'écoutait puisque, à chaque fois qu'il disait quelque chose, on lui reprochait de mentir et d'essayer de se disculper de ce qu'il avait fait.
Boujéma inventa quelques prénoms et l'histoire se termina plutôt bien - mais pas trop - sur le fait que, finalement, l'accusateur et l'accusé peuvent se comprendre à condition de s'écouter un peu : alors on peut discuter comme des adultes et ne pas forcément se détester.
Boujéma parlait doucement, et Andy l'écoutait. Peut-être, en fait, pensait-il à autre chose mais ses larmes cessèrent et sa respiration devint plus calme. Le psychologue eut l'impression que l'adolescent aurait aimé s'endormir au bout de l'histoire. Dans un autre contexte, il l'aurait peut-être laissé fermer les yeux. Mais il lui semblait important que cet entretien se terminât quand même sur un véritable dialogue.
"- Maintenant, ça va être à toi de me parler. D'essayer de me dire ce que tu penses, ce que tu ressens... Si tu avais pu t'endormir après cette histoire, à quoi aurais-tu rêvé ?...
- Je ne sais pas.
- Tu sais que les rêves s'expliquent ? Si tu sais bien les raconter, on peut comprendre ce qu'ils signifient.
- Oui, ce sont les dieux qui nous envoient des messages.
- Tu connais la mythologie grecque ?
- Un peu.
- En fait, on pense aujourd'hui que, même la nuit, le cerveau continue de fonctionner sans s'arrêter. Mais, comme on ne lui demande rien, alors il fait ce qu'il veut. Il pense à ce qui lui plaît ou à ce qui l'inquiète. Il mélange toutes les images qu'il a dans ses neurones et fabrique des histoires comme il le souhaite. Au début, on pense que ces histoires ne veulent rien dire mais, si l'on y réfléchit bien, on peut parfois trouver des explications. C'est comme si on te laissait seul plusieurs semaines dans une maison, ou ailleurs, et qu'on disait "fais ce que tu veux, va où tu veux, fais tout ce que tu veux". Et bien, à la fin, il n'y aurait que toi qui pourrait expliquer ce que tu as fais et pourquoi tu l'as fait. Pour les rêves, c'est un peu pareil.
- C'est la liberté.
- Oui, ton cerveau est libre, il fait ce qu'il veut et nous, ensuite, nous essayons de comprendre ce qu'il a voulu faire.
- C'est bizarre.
- Quoi ? que ton cerveau puisse s'amuser sans toi ?
- Oui... mais moi je déteste réfléchir. Ça me fait toujours penser à mes problèmes. J'aime dormir mais, des fois, je fais des cauchemars...
- Est-ce qu'il y en a un dont tu voudrais me parler ?
- Oui, je crois...
- Vas-y.
- Quand je rêve... je rêve tout le temps avec des chiens... Des fois c'est un chien gentil, des fois c'est un chien méchant... Quand je vois un petit chien, j'ai souvent envie de le prendre et de le serrer très fort contre moi mais, s'il est gros, j'ai toujours peur qu'il m'arrache la jambe. Dans mes rêves sympas, il y a des petits chiens mais j'ai toujours peur qu'ils deviennent énormes...
- Tu as déjà eu un chien ou tu as déjà été mordu par un chien ?
- Non... une fois, un chien a failli me mordre mais il était attaché.
- Dans tes rêves, est-ce que ce sont des vrais chiens ou des chiens de dessins animés un peu bizarres ?
- Non, non, ce sont des vrais chiens. Des petits très gentils ou des gros avec des crocs.
- Tu sais qu'il existe de gros chiens très gentils.
- ... Je ne sais pas.
- ... Andy, j'aimerais savoir une chose. Quand tu as peur de quelqu'un ou quand quelqu'un te crie dessus, à quoi est-ce que tu penses ?
- ...
- Est-ce que tu as l'impression de voir un chien hurler devant toi ?
- ... Oui. Je pense souvent ça.
- Et, est-ce que dans tes rêves, il t'arrive parfois de tuer le chien ou d'arriver à le faire taire ?
- Oui.
- Comment arrives-tu à le faire taire ?
- Je prends un gros bâton et le je le frappe sur la tête de toutes mes forces."

A la fin de cette phrase, Andy lança un regard étrange vers Boujéma puis il ferma les yeux. Lui non plus ne préféra pas poursuivre l'entretien : il le remercia et il appela le policier de garde pour sortir de la cellule.

 

Mardi, 17h20.