Lundi, 8h30.

Pinter Zymot consacra sa matinée à l'identification des trois agresseurs de la rue Delhomme.
D'après les images, il pensait que les garçons avaient entre 13 et 15 ans. Ils devaient donc être inscrits dans l'un des trois collèges de la ville : le collège privé Carnot, celui de Paul Féval situé dans le centre-ville ou encore le collège Fénelon près de la cité HLM des Hautes-Herbes. Il prit sa voiture et se dirigea vers Paul Féval : il n'imaginait pas avoir affaire à des "pré-délinquants" des Hautes-Herbes ni à des fils de famille de la rue Carnot... Il pouvait facilement se tromper mais il fallait bien commencer quelque part.
Il se présenta au portail de Paul Féval et demanda discrètement à rencontrer le Principal et le Conseiller d'Éducation. Zymot expliqua la situation et montra les images de la nuit sur l'ordinateur du Conseiller. Celui-ci reconnut les deux visages les mieux exposés et pensa deviner qui était le troisième.

 

"- Le plus grand, celui qui tape le code... c'est Michael Sorlin. Le plus petit des trois, derrière, c'est Anthony Terrazzi."
Le Conseiller fit apparaître alors le fichier qui contenait le trombinoscope de l'établissement et il sélectionna les deux visages qui, effectivement, correspondaient plutôt bien aux images de la nuit.
"- Et le troisième ?
- ... Il n'est pas formellement identifiable mais, pour que l'équipe soit complète, il devrait s'agir d'Andy Paulard.
- Vous le reconnaissez ?
- Non. Mais ce sont les trois qui ne se quittent pratiquement jamais : Paulard, Sorlin et Terrazzi. Les deux premiers sont en quatrième et le troisième est en cinquième.
- Quel âge ont-ils ?
- Paulard a quatorze ans, Sorlin doit en avoir quinze et Terrazzi douze ou treize."
A l'aide de son trombinoscope, le Conseiller sélectionna les fiches d'identification des trois garçons et les imprima.
"- Qu'est-ce que vous pouvez me dire à propos de ces élèves ?
- Terrazzi est assez petit, timide. Il ne pose pas de problème particulier mais il traîne toujours avec les deux autres, en particulier Sorlin... Sorlin, lui, n'est pas un garçon violent mais il est particulièrement arrogant : il prend tout le monde de haut, il répond à toutes les remarques et cherche délibérément à énerver les adultes. Il a déjà un an de retard mais il se fout complètement de ses études... Paulard est un élève discret, en grande difficulté depuis l'année dernière : il ne fait plus rien dans aucune matière mais il ne pose pas vraiment de problème disciplinaire.
- Ils ont des situations familiales difficiles ?
- Non. Sorlin et Terrazzi, au contraire, sont dans des familles plutôt aisées : les parents travaillent beaucoup mais ils n'ont pas l'air de manquer de quoi que ce soit. Paulard, par contre, a des parents au chômage et qui, apparemment, n'ont pas beaucoup de... personnalité.
- C'est-à-dire ?
- C'est-à-dire que leur enfant est en échec mais, lors des entretiens que j'ai pu avoir avec eux, ils n'ont jamais semblé avoir une opinion quelconque à ce sujet. Ils ont l'air aussi apathiques et découragés que leur fils.

- Vous savez où ils se trouvent actuellement ?
- ... D'après les fiches de ce matin, Sorlin et Terrazzi ont été notés absents aux premières heures de cours. Paulard, par contre, est présent. Nous avons téléphoné chez Terrazzi, sa mère nous a dit qu'Anthony était malade et qu'il avait vomi plusieurs fois après s'être réveillé.
- Et chez Sorlin ?
- Chez Sorlin, pas de réponse.
- Paulard est actuellement en cours ?
- Oui.
- Jusqu'à quelle heure ?
- ... Jusqu'à 16h30. Il est aussi demi-pensionnaire, donc il ne quittera pas le collège avant cet après-midi."

 Zymot aurait souhaité interroger au plus vite le jeune Andy Paulard mais le principal du collège s'y opposa. Il justifia que, à cause d'une violente bagarre survenue entre deux groupes d'élèves la semaine précédente, la police municipale était déjà intervenue dans son établissement, ce qui avait provoqué une effervescence quasi-incontrôlable parmi les élèves. Zymot voulut le rassurer mais le principal ne voulut rien savoir. Il s'engagea personnellement à ce que Paulard ne puisse pas quitter l'établissement avant 16h30. L'inspecteur décida de ne pas perdre plus de temps : il nota, avant de partir, les adresses des trois garçons dont deux au moins étaient désormais formellement identifiés.

Vers 10h du matin, il se présenta accompagné de quatre policiers au domicile d'Anthony Terrazzi. Ce fut sa mère qui ouvrit la porte. Le jeune garçon, lui, était couché en pyjama sur le canapé devant la télévision. En voyant le visage surpris de Mme Terrazzi, Zymot comprit que l'explication de la situation allait être un exercice délicat. Il décida d'aller droit au but : il lui raconta rapidement le cambriolage de la nuit précédente et fit la liste des éléments qui avaient permis d'identifier son fils comme l'un des auteurs de l'agression...
Le visage de Mme Terrazzi semblait s'allonger de stupeur au fur et à mesure du récit mais elle l'écouta jusqu'au bout. Puis elle se tourna vers son fils pour lui demander des explications mais le jeune garçon semblait figé. Il regardait droit devant lui et ne disait rien, recroquevillé dans son pyjama. Mme Terrazzi ne retenait pratiquement plus ses larmes mais elle ne protesta pas quand l'inspecteur demanda à Anthony d'aller s'habiller pour le suivre au commissariat. Un des policiers l'accompagna jusqu'à sa chambre.
Mme Terrazzi demanda simplement si son fils était en garde à vue. Zymot répondit que la décision serait prise au commissariat. Il lui dit également qu'elle ferait mieux de prévenir son mari et de rejoindre son fils le plus rapidement possible.
Anthony fut emmené dans la voiture qui, avant de rentrer au commissariat, s'arrêta au domicile de la famille Sorlin. Là, le déroulement de l'interpellation fut bien différent. Le jeune Michael était seul chez lui... Pinter Zymot lui expliqua ce qu'il venait faire - sans que le garçon ne manifeste aucune émotion - puis il lui demanda les numéros où il pouvait joindre ses parents. Michael se contenta de lui tendre une carte de visite posée près du téléphone où étaient inscrits deux numéros de téléphone portable. Zymot appela mais tomba coup sur coup sur deux messageries : il laissa deux fois ses coordonnées et demanda à être rappelé au plus vite.
Une fois dans la voiture, les deux garçons se regardèrent mais ne s'adressèrent pas la parole. Zymot avait l'impression que l'affaire était déjà quasiment terminée... Pourtant, il devinait aussi que beaucoup de choses devaient se passer dans la tête des jeunes garçons.

En arrivant au commissariat, et avant d'interroger les deux premiers suspects, Zymot téléphona au collège Féval pour qu'on lui confirme la présence d'Andy Paulard. Cela fut fait par le Conseiller d'Éducation.
En raccrochant son téléphone, il remarqua une note écrite à la main posée sur son bureau. Il y était écrit qu'Aziz Boujéma avait essayé de le joindre : il ne serait pas disponible avant le lendemain matin.

 

Mardi, 8h.