Tiliana *
Demain, nous sortons. Les techniciens l'ont annoncé.
Nous allons sortir et c'est une nouvelle vie qui va commencer pour moi. Et, cette fois, je ne suis plus une enfant. Je n'oublierai rien de ce qui s'est passé, de ce que j'ai vécu. On ne me fera plus croire n'importe quoi. On ne me cachera plus la vérité.
Je me souviens...
Je me souviens du jour où nous sommes entrés nous réfugier dans les montagnes. Il faisait déjà chaud, le ciel avait pris une couleur jaune-orangé et le soleil nous apparaissait plus gros que d'habitude.
Tout le monde avait préparé ses bagages et s'apprêtait à rentrer sous terre. "Tiliana, tu es prête ? Ne t'éloigne pas de ton frère."
C'était ainsi depuis... la nuit des temps. A certaines périodes, l'orbite de notre planète se resserre et nous nous approchons un peu trop près de notre étoile : à ces moments-là, la température augmente et, surtout, notre atmosphère est balayée de champs magnétiques et de vents de particules particulièrement violents et dangereux. On nous avait expliqué que, par le passé, ces phénomènes avaient provoqué de véritables ravages parmi nos civilisations. Mais, petit à petit, nous avions appris à les comprendre et à nous protéger de leurs effets.
Ainsi, nos "astronomes" étaient devenus capables, grâce à leurs outils d'observation, de prévoir ces événements à l'avance. De plus, nos "techniciens" avaient aménagé, au fils des siècles, des dizaines de milliers de galeries souterraines destinées à accueillir la population qui, pendant quelques mois (ou parfois pendant plusieurs années), ne pouvait plus vivre à l'extérieur.
Chaque famille avait un logement souterrain attribué et tout était préparé à l'avance pour éviter que les déménagements ne se fassent dans la panique.
Les galeries (que nous appelions communément les "mines") étaient creusées dans les montagnes de granit dont la roche était suffisamment dure et compacte pour nous protéger. Elles pouvaient monter très haut vers les sommets mais aussi descendre très bas vers les profondeurs.
Bien sûr, une fois enfermés, nos conditions de vie seraient très différentes mais toute la technologie nécessaire avait été installée pour que nous puissions respirer, boire, manger, travailler, étudier... dans les meilleures conditions possibles. C'était le rôle des "techniciens".
Mon père était un technicien (il l'est toujours d'ailleurs) et même l'un des plus importants et des plus réputés. Il avait supervisé tout l'aménagement de la montagne Arokor, la plus haute de toute.
A plusieurs reprises, il m'avait emmenée avec Etil, mon petit frère, visiter l'appartement qui serait le nôtre en cas "d'occlusion" (c'est comme cela que nous appelions ces périodes d'enfermement).
Nous étions donc tous préparés à ce que ce jour arrive. La dernière occlusion avait eu lieu seize années auparavant et elle avait duré plus de quatre ans : la plus longue période jamais enregistrée. J'étais d'ailleurs née pendant cette période mais je n'en avais aucun souvenir. Sauf, peut-être, celui du jour de notre sortie. Je me souvenais d'une lumière aveuglante et de ma main entourée d'un bandage : je venais de perdre l'un de mes doigts. Il avait été arraché, m'avait-on dit, par une grille de ventilation. Depuis, ma mère se plaignait souvent que, malgré cet accident, je n'avais jamais perdu cette manie de "fourrer mon nez et mes mains" là où il ne fallait pas...
Le ciel était donc devenu jaune-orangé, ce qui était le signe que l'orbite de notre planète allait entrer dans sa phase la plus dangereuse. D'après nos astronomes, cette phase devait durer au moins deux années, peut-être trois. Ce serait long mais nous étions prêts.
Mon père m'avait simplement dit : "La dernière fois, il y a eu des problèmes mais, cette fois, tout sera parfait. Nous ne commettrons plus les mêmes erreurs."
Pour moi, cette occlusion allait être la première dont je garderais un souvenir.