Tiliana **

Je me souviens...
Je me souviens que nous étions des milliers, peut-être des millions de personnes à nous diriger vers les montagnes. Tout le long de la route, nous étions guidés par des techniciens qui aiguillaient les familles au fur et à mesure vers les secteurs qui leur étaient réservés. Tout était organisé, tout se passait dans le calme.
A l'entrée des galeries, on nous informa que tous les "générateurs" du mont Arokor étaient en état de marche et que, cette fois-ci, les systèmes de secours avaient été renforcés. Ma mère, et la plupart des personnes qui se trouvaient autour de nous, parurent très soulagées par cette annonce.
Etil demanda à quoi servaient les générateurs. Ma mère lui expliqua que c'était les machines qui nous permettraient de respirer sous la montagne et qui fourniraient l'énergie nécessaire pour faire fonctionner toutes les machines dont nous allions avoir besoin. "Ils sont absolument indispensables", nous dit-elle mais, moi, je le savais déjà.
Nous prîmes des ascenseurs qui nous conduisirent vers les sommets de l'Arokor. Plus nous montions, moins nous étions nombreux. Notre appartement était situé, je crois, dans le secteur le plus élevé de la montagne. Il était magnifique : mon père l'avait préparé tout spécialement pour nous.
"Tiliana, voici ta chambre", m'avait-il dit lors d'une visite à laquelle j'avais participé. J'avais pu choisir les couleurs et les équipements que je voulais (ils devaient être adaptés à mon handicap). En fait, cet appartement était même plus confortable que notre maison.
Dans la grande salle, mon père avait fait poser des écrans qui nous donnaient l'impression de voir le ciel et les paysages à l'extérieur de la montagne. Comme à travers des fenêtres, nous pouvions voir notre soleil se lever et se coucher : le jour, la nuit, les aurores, les crépuscules, les étoiles... Si nous le voulions, nous pouvions observer tous les types de paysages de notre planète alors que, derrière ces écrans, il n'y avait que des mètres et des mètres d'épaisseur de granit.
Nous avions de la place, la température était idéale et l'air sentait bon. Je pensais que tous les appartements de la montagne étaient comme celui-là.
Une fois que toutes les familles furent installées, une annonce résonna pour prévenir que les issues allaient être fermées et que, à part les techniciens autorisés et équipés, plus personne n'aurait la possibilité de sortir jusqu'à nouvel ordre. Deux années, peut-être plus...
Mais la tempête magnétique pouvait commencer : nous étions à l'abri. Une fois les fermetures terminées, mon père put enfin nous rejoindre pour notre première nuit dans notre nouveau lieu de vie.

Les premiers temps se déroulèrent d'une manière totalement... idéale. Etil et moi étions comme dans un royaume.
Nous avions une totale liberté de circulation dans notre secteur. En dehors du Centre Technique, dans lequel nous avions repris nos études, il y avait de grands espaces, des terrains de courses, des magasins et, même, un planétarium et un Palais des Découvertes où nous pouvions passer nos journées avec les autres enfants du secteur.
Grâce aux écrans lumineux, le jour continuait à se lever, à s'étirer puis à se coucher. La vie pouvait donc continuer au même rythme qu'auparavant.
Chaque jour, j'avais l'impression que ma mère trouvait un nouveau compliment à faire à mon père au sujet des nouvelles installations qu'il avait mises en place avec les autres techniciens "depuis la dernière fois". Et, au début, j'ai senti que, effectivement, mon père était assez fier de lui. Et puis j'ai senti que, petit à petit, des soucis commençaient à déranger sa bonne humeur.
Pourtant nous avions pris nos habitudes et notre vie semblait pouvoir se dérouler ainsi pendant plusieurs années. Je remarquais simplement que mon père rentrait de plus en plus tard. Certains jours, il ne passait même pas par la maison. Notre mère nous disait qu'il fallait comprendre à quel point les responsabilités de notre père étaient énormes. Il ne pouvait pas se permettre la moindre petite erreur quant au fonctionnement des générateurs. Sinon, ce serait la vie de toute la communauté qui serait en danger.
Et je me souviens que, un soir, mon père était rentré bien après qu'Etil et moi soyons partis nous coucher. Mais je ne dormais pas. Je me suis levée pour aller lui dire bonsoir mais, avant d'ouvrir la porte de ma chambre, j'ai entendu une conversation à laquelle je ne m'attendais pas.
"Mais enfin, il faudra bien que tu me dises pourquoi tu sembles si inquiet... Est-ce qu'il y a un problème avec les générateurs ?"
Mon père répondit que "techniquement, tout était parfait".
"Alors, c'est qu'ils sont revenus, n'est-ce pas ?"
Il y eut un long silence avec qu'il ne réponde : "Ce n'est pas aussi grave que cela mais... disons qu'il y a des "rôdeurs" qui ont été repérés dans les quartiers réservés aux techniciens. Ils circulent sans que l'on sache pourquoi et puis ils disparaissent. Ce n'est pas vraiment grave mais ce n'est pas bon signe."
"Tu crois que cela pourrait recommencer comme la dernière fois ?"
"Non, je te l'ai dit, nous ne ferons pas les mêmes erreurs. Mais peut-être qu'eux aussi changeront leurs méthodes... Il vaut mieux être vigilants et ne pas se laisser surprendre... C'est pour ça qu'il vaut mieux que je sois inquiet. Au cas où..."
"Et les Aroks ?"
"Nous n'en avons repéré que quelques-uns... dans les niveaux intermédiaires."
"Quelques-uns quand même."
"Quelques-uns seulement, il faut me faire confiance."
"Alors je te fais confiance mais détends-toi un peu. Au moins devant les enfants."
"D'accord. Allons-nous coucher."
Et moi, je n'ai pas dormi de la nuit. Comme une gamine, je me suis dit qu'il était temps de fourrer à nouveau "mon nez et mes mains" là où il ne fallait pas. Je pensais sincèrement que, en le suivant le lendemain, je pourrais aider mon père.

 

Tiliana ***