Maxence Hébert

Cette première scène se déroule dans une voiture qui roule en pleine nuit sur une route de campagne. Les deux personnages se parlent mais ne se voient pas vraiment. Il fait sombre et les visages ne sont balayés que par quelques rayons de lumière venus de vieux réverbères ou de phares de voitures roulant, parfois, en sens inverse.


 

"- Comment vous appelez-vous ?
- Dominique.
- Ah... c'est gentil à vous d'avoir bien voulu me prendre. L'auto-stop, en pleine nuit, ce n'est pas évident. Surtout sur ce type de route.
- Où allez-vous ?
- Euh, pour l'instant, tout droit. Après je vous indiquerai... Excusez-moi de vous demander ça mais c'est lié à l'obscurité : êtes-vous un homme ou une femme ?
- D'après vous ?
- Je ne sais pas vraiment... En montant, j'étais persuadé que vous étiez un homme mais, maintenant que je suis près de vous, je ne suis plus très sûr...
- Cela vous pose un problème ?
- Je ne crois pas... En fait, tout dépendra des sujets que nous aborderons. J'adore discuter en voiture.
- Vraiment, vous ne me reconnaissez pas ?
- Non. Même en écoutant votre voix... Votre tonalité peut être celle d'un homme à la voix douce ou celle d'une femme à la voix grave... C'est assez troublant.
- Et vous, qui êtes-vous ?
- Je m'appelle Maxence Hébert.
- C'est votre vrai nom ?
- Bien sûr. Je ne triche jamais sur mon identité.
- Même la nuit ?
- Quand j'étais plus jeune, je m'amusais à m'inventer des personnages de nuit et je racontais des vies imaginaires à mes amis de passage avec des détails plus vrais que natures. Mais plus maintenant.
- Alors vous êtes un véritable oiseau de nuit ?
- Disons plutôt un esprit noctambule.
- Pour moi, la nuit est un des seuls véritables territoires de liberté qui nous restent aujourd'hui.
- C'est aussi un domaine dans lequel on peut frôler les limites de l'imprudence.
- Je ne me sens pas en danger. Et vous ?
- Eh bien... je ne vous demanderai pas de rouler tous phares éteints mais j'espère bien pouvoir partager avec vous quelques expériences un peu inédites, cher ou chère Dominique.
- Le silence dans l'obscurité peut être une expérience très intéressante.
- Alors autant dormir... Quelle est votre destination ? Vous rentrez chez vous, peut-être ?
- Disons que je suis sur une longue route qui finira par me ramener chez moi.
- C'est une route que vous connaissez ?
- Je ne sais pas. Je pars souvent au hasard, sans noter mes itinéraires. Fatalement, je finis par reprendre les mêmes routes mais, la nuit, je ne sais jamais les reconnaître... Et quand j'en ai assez d'errer comme ça, je branche mon boîtier GPS.
- Ah, la technologie ! On n'y échappe jamais totalement. Un jour, vous verrez, au lieu de prendre la route, vous passerez vos nuits sur Internet.
- Cela m'arrive parfois mais, ce soir, j'avais envie de prendre l'air.
- Dominique, que faites-vous dans la vie ?
- En plein jour ?
- Oui.
- Je passe mes journées à... chercher la vérité. Certaines formes de vérités.
- Vous êtes dans la police ? Juge, peut-être ?
- Oh non. Mais mes "clients" attendent de moi des réponses précises sur des questions très importantes de leur vie... La plupart me font totalement confiance et c'est une responsabilité assez lourde à porter chaque jour.
- Je comprends. J'ai été juge pendant de nombreuses années...
- Vraiment ? Dans quel type d'affaires ?
- Dans toutes sortes d'affaires. Contraventions, délits, crimes, affaires familiales... Une belle carrière mais, au fond de moi, je n'ai jamais su prendre assez de recul par rapport à mon travail. J'étais toujours rongé par l'angoisse d'avoir commis une erreur. D'avoir injustement modifié le destin des gens qui dépendaient de moi... C'est à cause de ça que j'ai commencé à me rapprocher du peuple de la nuit.
- Le peuple de la nuit ? Des fantômes, des sorcières, des loups-garous, des vampires ?
- Moi, je préfère parler des "âmes". Après, c'est vous qui leur donnez la forme que vous voulez ou, plutôt, ce sont eux qui prennent les formes que vous attendez d'eux.
- Comment vous appelez-vous déjà ?
- Maître Maxence Hébert, pour vous servir.
- C'est votre vrai nom ?
- Attention, cher ou chère Dominique, vous êtes encore obsédé(e) par la vérité.
- Déformation professionnelle.
- Voilà, nous approchons du
cimetière..."

 

Les lumières défilent de moins en moins vite. La voiture s'arrête sur le bas-côté de la route.