Haïku 3

 

Le vieux moine était donc reparti, entouré par une escorte impériale, emportant avec lui de grandes quantités d'encre et de papier. Son travail s'annonçait de grande ampleur.
Les semaines passèrent. L'empereur fit régulièrement demander de ses nouvelles et de nombreux messagers traversèrent le pays entre le somptueux palais royal et la grotte solitaire du vieil ermite.
L'empereur apprit ainsi que le vieux moine semblait réellement s'épuiser à la tâche. Il demandait régulièrement de nouvelles quantités d'encre et de papier et passait de longues journées isolé dans la froideur de sa grotte. Quand l'empereur réclama de lire les premières pages de l'ouvrage qu'il attendait, le vieux moine refusa de manière catégorique. Il déclara qu'il serait prêt pour les fêtes de la nouvelle année sans que le souverain n'ait lieu de s'inquiéter.

Les saisons passèrent. L'empereur était devenu impatient. D'autant plus impatient que ses relations avec son fils ne s'arrangeaient en aucune manière : le père et le fils ne faisaient plus que se croiser et aucun mot n'allait au-delà des politesses rituelles. Le jeune prince n'avait plus de précepteur. Sa paresse et son embonpoint continuaient de se développer : l'empereur, à son grand regret, ne supportait plus ce spectacle.
Les préparatifs pour les fêtes de la nouvelle année commencèrent et l'empereur n'avait toujours rien reçu. Encore plusieurs semaines s'écoulèrent. L'empereur n'aurait plus le temps de relire les pages du vieux moine. Il souhaitait les faire recopier, illustrer et rassembler de la manière la plus luxueuse mais rien de tout cela ne serait possible. Il fit simplement préparer un coffret en bois d'acacia pour déposer le texte tant attendu. Rien, décidément, ne devrait se dérouler comme il l'avait prévu.
Et puis vint le moment où l'empereur craignit que le vieux moine ne puisse même pas être présent au palais à la date prévue. Il envoya un nouveau messager en exigeant que le moine rejoigne séance tenante la capitale avec son texte. Le messager reçut l'ordre ferme de revenir avec, au moins, les pages déjà écrites, prises de gré ou de force.
Lorsque le messager se présenta au moine, celui reconnut que, effectivement, il était grand temps pour lui de rejoindre le palais pour accomplir sa tâche. Le texte était enfin prêt. Il rassembla ses affaires et accepta sans retard de suivre le messager impérial. Ce dernier avait déjà de nombreuses fois accompli ce trajet.
Il avait transporté de telles quantités d'encre et de papier qu'il éprouva un véritable étonnement à voir le vieillard si léger à le suivre après tant d'attente. Tout au long du chemin, l'étonnement devint malaise puis le malaise devint inquiétude.
Finalement, le moine entra dans la capitale le jour de l'ouverture des fêtes. L'empereur n'en dormait plus depuis plusieurs nuits.

Dès qu'il fut prévenu, le souverain fit conduire le moine dans les appartements qu'il avait prévus à son égard pour lui faire porter des vêtements d'apparat digne de la cérémonie qui l'attendait (il se doutait qu'un ermite ne disposait pas de ce type de tenue). Les deux hommes n'eurent pas le temps de voir avant l'ouverture officielle des présentations.
Le moine fut brièvement mis au courant du protocole prévu par l'empereur. Il enfila ses habits à la hâte et déposa son texte dans le coffret d'acacia qu'on lui avait fait porter. Il pénétra ensuite dans la grande salle du conseil somptueusement décorée pour l'occasion.
Le vieil homme se tenait debout au centre de la pièce. L'empereur était assis en face de lui. Le jeune prince, affaissé sur son trône, se tenait à sa droite. Tout autour de lui se répartissaient tous les ministres, hauts-fonctionnaires, représentants de toutes les régions et de toutes les grandes familles du royaume. La foule se pressait déjà dans le fond de la pièce.
Un serviteur annonça à voix haute la mission que l'illustre empereur avait confié à "un moine de grande réputation et sans égal dans la connaissance l'âme humaine". Une fois faite cette présentation, l'empereur fit un signe pour que soit apporté le coffret en bois d'acacia.
Le vieux moine s'inclina respectueusement. Le coffret fut placé devant lui. Il l'ouvrit et en sortit... un seul rouleau de papier qu'il déplia devant lui. Une simple feuille !!
Un murmure glacé parcourut l'assistance. La main de l'empereur se crispa brutalement sur le bras de son trône. Pas un souffle ne transperça le silence lorsque le vieux moine entama sa lecture.

 

Tailleur de pierres
cueille une fleur
ô mon amour