Dragons et Magiciens 8

Dès le lendemain matin, Bedren proclama qu'il prenait la totalité des pouvoirs jusqu'à ce que la sécurité du pays soit entièrement rétablie. Il annonça également que la trêve avec les Atlans était définitivement rompue : la guerre allait reprendre jusqu'à la victoire totale.
Guirao fut nommé général en chef de l'armée et les membres du Grand Conseil furent renvoyés chez eux jusqu'à ce qu'un "tribunal" désigne ceux qui pouvaient être soupçonnés de trahison.
Le nouveau général apprit dans la journée que plusieurs groupes de soldats Atlans avaient réussi à regagner leur pays : l'arrestation de Zonthar allait être révélée et il s'attendait, bien évidemment, à une réaction violente de son peuple. Il ordonna aux troupes restées dans les montagnes de rétablir tous les dispositifs de défense sans, pour autant, déclencher une nouvelle offensive.
Deux jours plus tard, le chambellan Elkali fut jugé, condamné et exécuté par pendaison. Plus personne n'osait se dresser devant la fureur de Bedren.
Seul Guirao était autorisé à l'approcher seul à seul mais cela ne servait plus à grand-chose. Bedren se comportait comme un animal traqué, presque un fou : il méfiait de tout le monde, il pensait à voix haute et n'écoutait personne. Il ne se confiait à Guirao que pour lui dénoncer les personnes qu'il soupçonnait de trahison. Selon lui, il fallait surveiller tout le monde et frapper au moindre doute.
Guirao était simplement parvenu à le convaincre qu'il ne fallait pas mettre à mort Zonthar et les soldats qui l'accompagnaient, du moins pas tout de suite. Il lui conseilla plutôt - pour gagner du temps - de les conserver comme d'éventuelles monnaies d'échange.
Pour Elkali, il n'avait malheureusement rien pu faire : Bedren aurait été prêt à le tuer de ses propres mains.
En tant que général en chef, il réussit à gagner du temps pour prolonger la trêve le plus longtemps possible. Il n'eut, d'ailleurs, aucun mal à se faire obéir dans ce sens tant les soldats, comme les officiers, étaient déçus de l'échec des négociations et tant ils commençaient à ne plus supporter le pouvoir tyrannique de Bedren. Officiellement la guerre avait donc repris mais les premières batailles n'éclataient toujours pas... Pendant combien de temps encore ? Certes, pour l'heure, Bedren était plus préoccupé par ses ennemis de l'intérieur que par ses ennemis étrangers... Mais que se passerait-il ensuite ?
Cette trêve anxieuse dura pourtant plusieurs semaines. Mais tout le monde s'attendait à ce qu'elle s'achève brutalement. Les Atlans avaient rompu tous les contacts et tout le monde savait qu'ils étaient en train de réorganiser leur commandement.
Au Palais d'Ittirit, Ocaris était désespérée par cette nouvelle situation sans issue. Pour la première fois de sa vie, ses visions étaient perturbées par d'authentiques cauchemars qui lui faisaient imaginer les pires horreurs. Elle s'était tellement persuadée que son enfant pourrait naître en temps de paix... Elle n'osait plus envisager l'avenir.
" - Nous ne pouvons plus laisser Bedren gouverner de la sorte. Pour l'instant, tu es le seul en qui il ait encore confiance mais, bientôt, il se retournera contre toi. Il est devenu fou. Il se méfie de tout le monde dans le Palais.
- Je le sais.
- Alors qu'attends-tu pour agir ? Que je vois les images de ta propre mort en me réveillant un matin ?
- Agir ? Tu veux dire le tuer ? Souviens-toi que je cherche d'abord à éviter que cette guerre ne dégénère à nouveau.
- Il faut absolument retrouver le sceptre d'Abror. Celui qui le portera pourra convaincre les deux peuples que Bedren était le seul motif de cette guerre. Si nous le retrouvons et si nous libérons Zonthar, nous pourrons obtenir sa confiance et il nous aidera.
- Ce ne sera pas si simple.
- Elkali ne t'a rien dit au sujet du sceptre ?
- Il n'a pas eu le temps et, surtout, il ne savait pas s'il pouvait me faire confiance... Il hésitait, les soldats sont entrés pour l'arrêter et il m'a juste lancé : "Bedren est un assassin ! Jamais il ne pourra poser la main sur le sceptre !" Pourtant, il savait sûrement où il se trouvait... Au moment où il a refusé de me répondre, j'ai vu clairement dans son esprit l'image d'une armoire. Une armoire métallique avec de lourdes portes gravées de symboles incompréhensibles... Mais je n'ai jamais vu ce type d'armoire nulle part dans le Palais.
- Moi non plus, et pourtant je connais chaque pièce une par une dans chaque bâtiment. Sauf...
- Sauf les deux étages particuliers de Bedren dans le donjon central. Mais cette armoire n'était pas dans son bureau du troisième étage : il n'y avait pas de meuble aussi imposant.
- Il reste alors le quatrième étage. Si seulement nous trouvions un moyen pour y accéder.
- Si cela devait arriver, ce ne serait pas à toi d'y aller. Je ne veux pas que tu prennes ce genre de risque.
- Bien, mon général."

 

Durant l'après-midi, Ocaris se chargea elle-même de faire le ménage dans la salle d'audience de Bedren, au deuxième étage du donjon central.
Elle savait que le grand maître était en discussion avec Guirao dans la salle des cartes et, pendant son absence, elle avait besoin de... vérifier quelque chose.
Depuis qu'elle faisait partie des domestiques du Palais, Ocaris avait été prévenue que la porte située au fond de la porte d'audience n'était pas fermée par une serrure ordinaire. Il s'agissait d'un mécanisme mystérieux que Bedren n'actionnait que lorsqu'il était absolument seul. Certains serviteurs disaient qu'il lui suffisait de poser la main sur la porte pour qu'elle s'ouvre... ce que personne d'autre n'était capable de faire.
Or, lors de leur intrusion dans le donjon, les soldats de Zonthar avaient tout simplement défoncé la porte pour entrer dans l'escalier qui menait aux étages supérieurs. Dès le lendemain, Bedren avait fait réparer la porte et il avait demandé à l'un des ouvriers du Palais de poser une nouvelle serrure dont lui seul aurait la clé... Ocaris avait parlé avec cet ouvrier qui lui avait dit que Bedren l'avait directement menacé de mort si, un jour, il apprenait qu'un autre exemplaire de cette clé existait quelque part. Sans doute Bedren avait-il l'intention de faire remettre un mécanisme identique au précédent mais encore fallait-il trouver un ouvrier disposant du matériel, du savoir et des pouvoirs nécessaires...
Ocaris savait aussi que la nouvelle serrure disposait d'un système de protection très performant mais que, très probablement, elle avait été prise dans les stocks des ateliers du Palais. Or, en tant que grande-gouvernante, Ocaris disposait d'un passe sensé lui ouvrir la totalité des serrures du château... C'était d'ailleurs l'objet le plus important que lui avait confié dame Valaine avant de partir et qu'elle portait sur elle en permanence.
Ce passe était-il aussi adapté à cette serrure ? C'était le moment idéal pour le vérifier avant d'en avertir Guirao.
La porte était située au fond de la salle, derrière le trône et... la clé fonctionnait parfaitement dans la serrure. La porte s'ouvrit dans un bruit métallique qui la fit sursauter mais, heureusement, elle était bien seule dans le donjon.
Elle savait que, dans son état anxieux et hystérique, Bedren serait capable de la tuer sur place s'il venait à la surprendre.
L'escalier était ouvert devant elle. Bedren n'était pas là. Peut-être fallait-il en profiter tout de suite... Elle décida qu'elle pouvait agir sans attendre Guirao.
Elle monta silencieusement les marches jusqu'au bureau de Bedren. Elle cherchait une grande armoire métallique gravée de symboles magiques.
La pièce était assez petite. Elle comportait surtout un bureau et de grandes bibliothèques qui débordaient de livres. D'autres livres encore traînaient, éparpillés un peu partout dans la pièce. Malgré ce désordre, Ocaris se dit qu'il valait mieux ne toucher absolument à rien...
Elle ressortit sur le palier et continua à monter l'escalier. Au dernier étage, elle trouva la chambre à coucher de Bedren : grande mais assez austère, sans luxe particulier et plutôt sombre... Aucune armoire métallique ne s'y trouvait. Surtout ne toucher à rien...
Elle redescendit au troisième étage et, là, elle fut étonnée de trouver le bureau si petit par rapport à la chambre, bien plus vaste, située juste au-dessus... Il y avait sans doute une seconde pièce à cet étage et donc, probablement, une porte cachée à l'intérieur du bureau.
Ocaris retira ses chaussures et traversa doucement la pièce. Elle regarda un instant la fenêtre sur laquelle Guirao s'était accroché et qu'il avait pulvérisée en tirant au travers... Elle sourit en se rappelant de ce qu'il lui avait raconté le lendemain. La fenêtre avait, elle aussi, été rapidement réparée mais les traces du passage de Guirao étaient encore visibles.
Le mur du fond était recouvert d'une tapisserie tendue représentant des motifs célestes. Il n'y avait aucune irrégularité à sa surface mais Ocaris remarqua, sur le sol, des traces de poussière laissées par une ouverture de porte.
" C'est comme cela que l'on se trahit quand on ne se préoccupe pas suffisamment de son ménage..."
Ocaris essaya de comprendre comment pouvait s'ouvrir cette porte jusqu'à ce qu'elle se souvienne à quel point il était dangereux de rester dans cette pièce... Elle en savait suffisamment pour donner une piste à Guirao.
Elle se retourna, retraversa la pièce, remit ses chaussures et redescendit l'escalier vers la salle d‘audience. Elle referma la porte à clé et reprit son nettoyage.
Bedren entra quelques instants plus tard.
" - Ocaris ? Je ne m'attendais pas à vous trouver ici cet après-mide.
- C'est que... Comme vous avez réprimandé la jeune Vidina lors de son précédent service, j'ai cru bon de venir moi-même m'occuper du ménage du donjon.
- Ah oui... Mais ce n'était rien de grave. Vidina pourra revenir. Depuis combien de temps êtes-vous ici ?
- Pour pouvoir bien faire, je suis venue juste après les repas... Je viens de terminer et j'allais justement m'en aller."
Elle rassembla ses ustensiles et se dirigea vers la porte de sortie.
" - Ocaris.
- Oui, maître ?"
Bedren l'observa sans rien dire...
" Non, ce n'est rien. Au revoir, Ocaris."

 

La jeune servante dut attendre le soir pour croiser Guirao au détour d'un couloir. Elle lui raconta ainsi ce qu'elle avait découvert.
Guirao était très contrarié mais il dut garder son calme pour ne pas se faire remarquer.
" - Tous ces risques pour me dire qu'il y a une porte impossible à ouvrir...
- Nous savons déjà que, pour l'instant, nous pouvons pénétrer jusqu'au bureau privé de Bedren et que l'armoire contenant le sceptre ne peut se trouver que dans la pièce secrète.
- D'accord... Tu vas maintenant me donner cette clé et ne plus mettre les pieds dans ce donjon.
- Désolé, mon cher, mais j'ai besoin de cette clé pour mon travail. Pour le reste, nous en reparlerons ce soir.
- Ne sois pas trop fière de toi. Bedren est bien plus malin que ce que tu imagines.
- Bien, mon général."
Guirao ne savait plus s'il devait d'abord s'inquiéter de la situation militaire dans les montagnes ou du comportement imprévisible de Bedren. Dans les deux cas, tout pouvait basculer d'un moment à l'autre...
Après le repas, il rejoignit à nouveau le grand maître dans la salle des cartes. Celui-ci voulait passer à l'attaque tout de suite. Guirao sentait qu'il ne réfléchissait plus vraiment. Bedren était obsédé par l'idée de se débarrasser de tous ceux qui menaçaient son pouvoir : Guirao avait de moins en moins d'arguments à lui opposer. Pour l'instant, il était sûr d'avoir encore sa confiance, mais jusqu'à quand ?
A la fin de la discussion, il fut décidé que Guirao partirait le lendemain pour les montagnes afin de superviser lui-même les manoeuvres d'attaque. Le jeune général n'avait pas pu s'opposer à cela. Bedren semblait soulagé de l'avoir convaincu. Il regarda Guirao dans les yeux.
" - Au fait, Guirao, j'ai croisé Ocaris dans la salle d'audience du donjon cet après-midi.
- Ah bon ?
- Je l'ai bien observée... Elle est enceinte, n'est-ce pas ?
- Oui, maître.
- C'est très bien. Je suis satisfait qu'un tel événement arrive à deux de mes plus fidèles serviteurs.
- Merci, maître.
- Crois-moi, Guirao. Votre enfant ne sera pas élevé comme un domestique. Il grandira au Palais et il apprendra tout ce qu'il faut savoir pour devenir un personnage important. J'y veillerai personnellement... Je vous félicite sincèrement.
- Je vous remercie vraiment, maître."
Il regardait le visage de Bedren. Son sourire bienveillant semblait cacher quelque chose... Une intention très précise dans sa tête... Guirao entendit alors une phrase terrible résonner dans sa tête :
" Et tant que ton enfant sera sous mes yeux alors, toi non plus, tu ne pourras pas me trahir."

 

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