Dragons et Magiciens 1
Ocaris ouvrit les yeux une première fois.
Comme chaque matin, à son réveil, des images commençaient à se former dans son esprit. Cette fois, elle voyait une main levée et un visage... les mêmes que ceux qu'elle avait vus les jours précédents. Mais sa vision était beaucoup plus nette et précise : sans doute cela signifiait-il que l'événement aurait lieu ce jour même.
Elle distinguait clairement un homme... âgé mais encore robuste, vêtu d'un long manteau gris et portant une bague précieuse à son doigt. Et un autre homme aussi, un peu plus âgé encore, portant des habits de voyage et appuyé sur un grand bâton... un sceptre ! Deux personnages importants face à face en train de parler.
Un troisième arrive, beaucoup plus jeune mais il reste caché : les deux vieillards ne remarquent pas sa présence. Il les observe discrètement.
Ocaris se concentra sur le jeune garçon. Qui était-il ? L'avait-elle déjà vu quelque part ?
Soudain, l'un des deux vieillards leva haut sa main droite et fit jaillir un éclair qui frappa l'autre en pleine poitrine !
L'homme en habits de voyage s'effondra. Son agresseur s'approcha de lui pour l'achever. Le jeune garçon avait tout vu. Il restait caché.
Ocaris ouvrit une seconde fois les yeux. Les images s'estompèrent et elle se réveilla complètement.
"C'est donc aujourd'hui qu'un homme important va être assassiné..."
Elle savait que ses visions montraient toujours la réalité des choses. Elle avait le don de prédiction : un don rare et précieux que sa soeur lui avait vivement conseillé de garder pour elle. "Certaines personnes pourraient essayer de se servir de toi."
Chaque matin, elle voyait donc des images d'événements qui allaient se produire mais elle n'en parlait à personne. La plupart du temps, ces images restaient floues ou étaient difficiles à comprendre. Plus ses visions étaient nettes, plus l'événement était proche.
Pour elle, il était certain que le meurtre qu'elle avait vu serait commis dans la journée. "Probablement ce soir."
"Je sais qu'un homme important va mourir mais je ne sais même pas de qui il s'agit et, comme d'habitude, je ne peux absolument rien faire."
Les images de mort étaient les plus difficiles à supporter pour la jeune fille surtout quand, quelques jours plus tard, quelqu'un venait au village pour confirmer la nouvelle. Tout le monde semblait surpris mais, elle, non : elle se tordait les doigts pour ne pas pleurer. Elle n'écoutait pas les descriptions car elle savait déjà tout.
Une fois, quand elle était petite fille, elle avait même failli se trahir en expliquant exactement la manière dont un fils de fermier avait été attaqué par des brigands. C'est ce jour-là qu'Otalia - sa grande soeur - avait compris le pouvoir qu'elle détenait et lui avait fait jurer de ne jamais le dévoiler à personne. "Certains seraient prêts à tout pour connaître l'avenir."
Ocaris se leva et fit sa toilette. Puis elle s'habilla et quitta sa chambre pour rejoindre la salle commune où seraient réparties les tâches de la journée.
Elle espérait qu'Abrania lui confît des tâches de lessive ou de nettoyage. Elle avait besoin de s'occuper l'esprit et les muscles et, surtout, elle ne voulait pas rester seule à surveiller les bêtes ou à transporter des provisions. Ce jour-là, elle aurait besoin de la compagnie de ses camarades.
Peut-être parlerait-elle de ses visions avec Otalia. Mais celle-ci lui répondrait certainement : "Tu le sais et alors ? Qu'est-ce que tu veux faire contre ça, pauvre petite paysanne ? Laisse donc les choses aller leur cours et occupe-toi plutôt de ton propre destin."
Ça, ce n'était pas une prédiction mais simplement une habitude. En fait, le seul événement qui préoccupait vraiment Otalia était de savoir quel garçon viendrait un jour la demander en mariage... mais ce n'était pas le genre d'information qu'Ocaris recevait dans ses visions.
En descendant l'escalier, elle pensa une nouvelle fois au jeune garçon dont elle avait vu le visage et se dit : "Après tout, pour cette fois, je ne serai pas la seule à connaître la vérité."