C'est en début d'après-midi que le capitaine Guirao pénétra à son tour à l'intérieur du Palais d'Ittirit. Il n'y était jamais venu mais lui, par contre, entra par la grande porte, franchit le poste de garde et fut accueilli par le chambellan en personne... C'était un homme droit, au visage fermé, mais chez lequel le jeune soldat décelait une profonde nervosité. Instinctivement, il se dit que, au coeur d'une bataille, il n'aimerait pas avoir ce genre d'individu dans son dos. Mais, ce jour-là, c'est lui qui le suivit jusqu'aux portes sculptées de la salle du Grand Conseil.
" - Maître Bedren, le jeune soldat que vous avez demandé à voir est ici.
- Merci, Elkali. Faites-le entrer.
- Je vous présente tous mes respects, grand maître.
- Soyez le bienvenu, jeune capitaine. Vous vous appelez Guirao et vous avez été l'élève de maître Layal, n'est-ce pas ?
- C''est exact.
- De par la formation que vous avez reçue, vous faites déjà partie de nos guerriers d'élite. Mais j'ai, de plus, reçu à votre sujet des témoignages particulièrement élogieux à propos de vos exploits réalisés au combat. Courage, prudence, ténacité, loyauté... vous semblez faire preuve de nombreuses qualités.
- Merci, maître.
- Selon vos officiers, vous maîtrisez la quasi-totalité des techniques d'attaque, de camouflage et d'orientation. Votre présence est systématiquement associée à des batailles victorieuses mais, malheureusement, vous ne pouvez pas être partout.
- Pourtant, maître, j'ai le souvenir d'avoir aussi connu la défaite à plusieurs reprises.
- Sans doute, comme nous tous... Mais vous êtes celui que mes officiers ont désigné pour remplir les services dont je vais avoir besoin.
- Je vous écoute, maître Bedren.
- Cette guerre, vous le savez, dure maintenant depuis trop longtemps. Voilà plusieurs mois que, malgré les combats, j'essaie d'ouvrir des négociations avec le roi Zonthar pour rétablir, autant que possible, la paix entre nos deux peuples. Plusieurs émissaires ont déjà été secrètement échangés et, si la situation militaire reste bloquée, il est probable que d'ici quelques mois le roi Zonthar accepte de me rencontrer et peut-être même de venir jusqu'à Ittirit. Que pensez-vous de cela ?
- Ce... ce n'est pas mon rôle de juger vos décisions, maître. Tant qu'il faudra se battre, mon seul but sera d'éviter la mort et de chercher à obtenir la victoire.
- Oui et c'est bien de cela qu'il s'agit. Si ce jour doit bientôt arriver, je veux pouvoir accueillir Zonthar en position de force et réduire au minimum les exigences qu'il pourrait avoir. Pour cela, je dois trouver son point faible... Notre armée n'arrive pas à passer en force, alors je veux que vous meniez une équipe de combat à l'intérieur même de son territoire. Choisissez et regroupez quelques compagnons - juste ce qu'il vous faudra - et trouvez le moyen de vous infiltrer au-delà des lignes d'attaque des Atlans. L'objectif que je vous donne n'est pas de tuer nos ennemis mais de collecter des informations à leur sujet et de revenir vivant pour me les donner.
- Quel type d'informations attendez-vous ?
- Je ne vous connais pas encore, Guirao, mais mesurez-vous à quel point je vous accorde ma confiance ? Si vous acceptez ma proposition, vous et vos compagnons sortirez de la hiérarchie militaire et vous serez placés directement sous mes ordres. En échange de quoi j'exigerai de vous une fidélité et une discrétion absolues.
- ...J'accepte votre proposition, maître, ainsi que la confiance que vous m'accordez. Quel type d'information attendez-vous ?
- Tout ce que vous pourrez trouver. Vous êtes, d'après ce que l'on m'a dit, un soldat brillant et intelligent - et vous avez déjà de l'expérience - vous savez mieux que moi ce qui est important pour faire basculer le sort d'une bataille. Je veux que vous trouviez le moyen d'abattre à coup sûr les dragons de Zonthar.
- Abattre les dragons n'est pas une chose impossible mais il en revient sans cesse d'autres.
- Savez-vous où naissent les dragons ?
- Non, maître.
- Alors c'est peut-être cela qu'il faut chercher à découvrir. Là où il est difficile d'abattre un dragon adulte, il serait beaucoup plus simple et beaucoup plus efficace de détruire des nids entiers... pour peu que nous sachions où ils se trouvent.
- Effectivement. Et les Atlans seraient privés de m'intérieur de leur arme la plus terrible.
- C'est sûrement leur secret le mieux gardé. Si vous vous faites capturer à proximité, vous serez sans doute torturé et exécuté de manière atroce et totalement inutile. Alors, ne vous précipitez pas et rapportez-moi des rapports détaillés de tout ce que vous aurez pu découvrir... Voilà, avez-vous compris ce que j'attends de vous ?
- Parfaitement, maître. C'est bien la mission la plus importante qui puisse être confiée à un guerrier. C'est un véritable honneur que vous me faites.
- Fort bien, jeune homme. A partir de maintenant, vous êtes le seul responsable de l'organisation et de l'exécution de votre mission. Elkali, mon chambellan, s'occupera de vous procurer tous les équipements et les laissez-passer dont vous aurez besoin. Il est très efficace, il vous obtiendra rapidement ce que vous lui demanderez. Vous passerez également par lui pour me demander audience lorsque vous reviendrez dans la capitale, ainsi que pour recevoir votre solde et celle de vos compagnons. J'essaierai d'être le plus disponible possible et je vous recevrai dans ma propre salle d‘audience, dans le donjon central... Par contre - et écoutez-moi bien sur ce point - ni Elkali, ni personne d'autre d'ailleurs, ne devra être mis au courant des résultats de vos missions. Dites-lui en le moins possible et ne cherchez pas à justifier vos demandes. Je vous le répète : je serai dorénavant la seule personne à laquelle vous devrez obéir et rendre des comptes.
- Bien, maître Bedren."