21h02

"Aujourd'hui, au lycée, Amandine m'a demandé ce que je raconterais si je devais écrire toute une nuit sans m'arrêter... En m'y mettant maintenant, je devrais pouvoir lui montrer quelque chose demain matin."


Il y a cinq ou six ans de cela, un jeune garçon prénommé Sami se rendait chez sa grand-mère... non pas à travers la forêt mais en voiture, par l'autoroute, avec ses parents et son frère âgé alors de quelques mois.
Sami, lui, devait avoir onze ou douze ans. Il était extrêmement curieux et il essayait de comprendre tout ce qui pouvait s'expliquer : le temps, l'espace, la vie, la mort, les hommes, la nature...
C'était l'âge où il imaginait que tout pouvait être expliqué par les adultes, du moins quand ils avaient envie de répondre. Tout au long du trajet, il avait regardé à travers la fenêtre en essayant d'imaginer si la voiture filait au milieu du paysage ou si c'était le paysage qui défilait autour de la voiture. Une idée bizarre, non ?

 

 

Au bout du voyage, il y avait une maison. Une vieille maison : haute et large, avec des plantes grimpantes qui montaient jusqu'au toit et de longues fissures apparentes dans l'enduit des murs. Un vieux garage poussiéreux, presque impossible à ouvrir avec sa vieille porte en bois sec. Un jardin.
Une très vieille maison ? En tous les cas, c'était ce que Sami connaissait de plus vieux, et de plus grand aussi. Un véritable monument, comparé à son appartement. Quel âge avait réellement cette maison ? 50 ou 100 ans, peut-être. Et qu'y avait-il avant ?
En fait, Sami devait passer deux semaines entières parmi les trois étages de la maison. Chez lui, il n'avait plus de chambre puisque ses parents réaménageaient entièrement l'appartement : il fallait installer une troisième chambre à coucher pour le petit frère. Sami, lui, était en vacances et sa grand-mère avait accepté de l'accueillir pendant la plus grosse partie des travaux. Le reste de la famille, par contre, avait prévu de repartir dès le début de l'après-midi.

Sami connaissait déjà "sa" chambre - au premier étage, au bout du couloir - mais c'était la première fois qu'il s'y installait seul. D'habitude, il la partageait avec ses parents : eux dans le grand lit, lui sur un lit de camp. Sans lit de camp, la pièce semblait tout de suite plus grande. Toute la maison semblait d'ailleurs plus grande.
Comme à son habitude, le jeune garçon se mit à la parcourir comme pour vérifier que rien, dans chaque pièce, n'avait changé de place. Il connaissait par coeur les couloirs, les escaliers, le salon, la cuisine, les chambres et il aimait en faire le tour. Dans son immeuble, il y avait aussi des couloirs et des escaliers mais ils étaient "dehors", de l'autre côté de la porte : chez les autres ou, plutôt, chez personne. Là, dans la grande maison, tout était dedans : tout était à lui.
Autour des couloirs et des escaliers, Sami put ainsi vérifier, une fois de plus, la bonne disposition des pièces :
- d'abord au rez-de-chaussée, de part et d'autre d'un premier couloir, il y avait bien une cuisine, une réserve, des toilettes, une grande salle à manger (avec la télévision), une "chambre-bureau" (une pièce où se côtoyaient un lit et un secrétaire fermé à clé, un fauteuil, un grand miroir, le téléphone de la maison), puis l'escalier ;
- à l'étage, il y avait un second couloir qui reliait, dans l'ordre, une salle de bains, une première chambre, la chambre de sa grand-mère, un petit débarras puis "sa" chambre (celle que son père avait occupé quand il était enfant). Ensuite, un autre escalier partait vers "les toits" ;
- "les toits" (au deuxième étage) : la chambre de Jeannine puis le grenier (fermé à clé).

Jeannine était la dame qui vivait là "depuis toujours". Elle n'était pas de la famille mais Sami l'avait toujours connue : elle aidait sa grand-mère à la cuisine, aux courses, au ménage... Le mot de "bonne" n'était jamais employé à son égard, mais c'était sans doute celui qui correspondait le mieux à son rôle dans la maison.
Sami la croisa en redescendant au salon : "Alors, jeune homme, tout est bien en place ?"

 

 21h29