Comme lors de sa précédente sortie, le rayon de lumière qui passait sous sa porte lui suffisait pour se repérer dans l'obscurité du corridor. Il avança le plus silencieusement possible jusqu'à toucher la porte de la salle de bains. Il tourna sur sa gauche et commença à descendre l'escalier.
Depuis qu'il était tout petit, Sami avait dévalé ces marches plusieurs centaines de fois, et de toutes les manières possibles : en courant, à pieds joints, à cloche-pied, sur les fesses et même, par deux fois, la tête la première. Aussi l'obscurité quasi-totale ne lui posait-elle pas de véritable problème. Mais il valait mieux avancer doucement, tourner à gauche et être prudent.
Arrivé à la dernière marche, il savait qu'il faisait face à la salle à manger. Sa main droite glissa le long du mur et attrapa le bouton de la porte du bureau. Une fois entré, il ferma silencieusement la porte, attendit quelques instants, puis alluma la lumière. A la lueur d'une seule ampoule, la moquette et le papier-peint donnaient une tonalité vert pâle à l'ensemble de la pièce.
Sur sa gauche : l'armoire, une petite table, le téléphone posé dessus et le miroir. Face à lui : la fenêtre, aux volets clos, donnant sur le jardin. Sur sa droite : un lit simple, un fauteuil de style ancien (une "bergère" avait-il entendu une fois) et le secrétaire fermé à clé.
Toujours fermé à clé. Depuis qu'il était tout petit et qu'il parcourait la maison, Sami avait repéré ce meuble comme un des seuls qui avait pu échapper à sa curiosité. Il était toujours fermé à clé et il savait qu'aucun de ses cousins n'avait pu l'ouvrir. Ils ne l'avaient vu ouvert que lorsque leur grand-mère y cherchait quelque chose mais elle n'en repartait jamais sans lui avoir donné un bon tour de clé.
Où était la clé ? Apparemment, elle la gardait toujours sur elle lorsqu'il y avait du monde à la maison, en particulier les enfants.
Mais où était la clé ce soir-là où il n'y avait personne, à l'heure où tout le monde dormait ? Sur la serrure, tout simplement.
Le jeune garçon eut du mal à le croire et il faillit en rire tout haut : devant lui, le petit anneau doré de la clé sortait du panneau vertical qui refermait le secrétaire. Pourtant, dans l'après-midi, Sami était passé dans le bureau et il était certain de n'avoir rien vu sur la serrure.
Après qu'il soit monté dans sa chambre, sa grand-mère avait sûrement ouvert le secrétaire et l'avait refermé en laissant la clé sur place sans se méfier.
Il tourna la clé et abaissa le tablier. Sur trois niveaux d'étagères, il découvrit une dizaine de piles de papiers et d'enveloppes soigneusement rangées les unes à côté des autres. Où fallait-il commencer à regarder ?
Au sommet des premières piles, il reconnut ces feuilles pleines de chiffres et de tableaux, comme dans le bureau de son père : "facture", "quittance", "relevé bancaire"... Puis son regard fut attiré, sur l'étagère la plus haute, par une large photographie en noir et blanc.
Il s'agissait d'une photo de groupe - une trentaine d'hommes qui posaient en travers d'une voie ferrée, avec derrière eux la silhouette d'une gare. Debout sur la gauche, Sami reconnaissait son grand-père (le mari de sa grand-mère) qui posait sans doute avec ses camarades de travail. Il savait qu'il avait travaillé dans les chemins de fer.
En dessous du cliché, il y avait un paquet d'autres photos que Sami déposa sur le tablier du secrétaire avant de les regarder une par une. Il s'agissait d'autres photos du grand-père prises à son travail : des bureaux, des quais, une salle d'aiguillages... Sami ne connaissait de lui que le sourire figé des portraits qu'il avait vus chez lui et chez sa grand-mère : il lui trouvait là une attitude beaucoup plus naturelle.
Deux autres photos, en couleurs cette fois, arrêtèrent plus longuement son regard. L'une était prise dans le jardin de la maison : ses grands-parents se tenaient par la taille et souriaient à l'objectif.
Sur la deuxième, Sami reconnut sa mère, assise dans un lit d'hôpital, qui tenait en souriant un tout petit bébé dans ses bras. Le bébé, c'était lui.
Il garda avec lui ces deux photos et reposa le paquet là où il l'avait trouvé.
Il observa attentivement le secrétaire, à la recherche d'un autre élément susceptible d'attirer sa curiosité. Il cherchait de vieux documents, donc des documents probablement placés au bas des piles de papiers. A moins qu'ils n'aient été rangés à part...
Sur l'étagère la plus basse, il remarqua que la couleur des papiers placés au dessus des piles n'était pas la même que celle des papiers placés à la base : les feuilles passaient du blanc au jaune pâle, d'un papier fin à un papier plus épais dont les bords présentaient des marques d'usure. Sami prit la pile de gauche, la retourna, et inspecta ce qui lui semblait être les documents les plus anciens. Effectivement, ces documents dataient de bien avant sa naissance mais il ne s'agissait encore que de chiffres et de tableaux ; les plus vieux de ces documents étaient écrits à la plume, sur un papier devenu très jaune et très sec.
Certaines dates lui semblaient tout à fait impressionnantes, quelques unes remontaient même avant la naissance de son père, mais il eut rapidement le sentiment qu'il ne trouverait pas là ce qu'il venait chercher.
Il regarda rapidement les autres piles de l'étagère : le nombre de documents semblait impressionnant. Il n'aurait pas le courage de tous les regarder.
Il sortit les piles une par une et les déposa soigneusement par terre. Puis il plongea sa tête dans le fond du secrétaire. Pendant que se yeux essayaient de chercher quelque chose sur sa gauche, sa main droite se posa sur un objet qui n'était pas de bois. Il venait de toucher une autre enveloppe, mais qui était glissée tout au fond du secrétaire, légèrement insérée dans la jointure de deux planches du meuble.
Sami la sortit délicatement, et il s'aperçut qu'il n'y avait pas une, mais deux petites enveloppes de couleur bleue. Et, entre les deux enveloppes aplaties, il y avait une photo.
Elle avait la taille d'une photo d'identité et un homme, plutôt jeune, posait de profil : il regardait devant lui et ses cheveux noirs étaient coiffés en arrière. Au dos de la photo était inscrit un nom à l'encre bleu pâle, presque effacé : Roger Vairelles.
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