29 mai 2005

Les premiers jours, Richard avait pensé qu'il attendrait d'avoir dépensé tout son argent avant d'utiliser son premier souhait pour demander une rallonge, histoire de continuer à réfléchir... Beaucoup d'argent mais pas trop quand même car il ne savait pas vraiment à qui il avait à faire. Le type avait l'air fiable mais la bastonnade lui avait clairement signifié qu'il valait mieux ne pas plaisanter avec sa proposition. Alors, combien ?
Au cours de ses méditations, Richard fut finalement convaincu que ces trois souhaits n'étaient pas une seconde chance pour seulement gagner de l'argent mais bien pour démarrer une nouvelle vie. Tout changer. Tout reconstruire. C'était ça le véritable challenge. Et il n'allait pas attendre des semaines avant de se lancer.
Tous ces gens autour de lui avaient du travail : il devait en avoir un lui aussi. Mais un travail bien à lui, pas sous les ordres d'un patron : un commerce. Un commerce de quoi ? Richard ne savait rien faire de particulier.
Une épicerie ? Un magasin d'articles de sport ? Un bar ? Une station-service ?... Une station-service !
C'était ça ! Richard allait vendre de l'essence à tout ces gens. Après tout, tout le monde a besoin d'essence : c'est le type de commerce qui ne peut pas faire faillite. Et puis, pour peu d'être un minimum sympathique, et d'avoir toujours du carburant, un propriétaire de station-service peut difficilement mal faire son travail.
Durant les deux derniers jours de sa méditation, ce métier de pompiste lui apparut comme le plus noble du monde, le plus indispensable à l'humanité. Il était convaincu qu'il serait à la hauteur de ce genre de mission.
Ainsi, sept jours après sa rencontre (face contre terre) avec la "bonne fée", sans même attendre l'épuisement de son argent, Richard déposa son premier souhait sur la boîte vocale de son présumé bienfaiteur :
"- Bonjour, vous êtes sur la messagerie du 06-94-27-68-12, parlez après le bip sonore.
- Bonjour... c'est Richard. Je voudrais changer de vie... avoir un métier... En fait je voudrais avoir une station-service... ou plutôt travailler dans une station-service... Et gagner de l'argent."
Sa déclaration fut interrompue par le second bip de la messagerie.

 

Richard se souvenait que la "bonne fée" lui avait dit d'attendre une semaine avant que son voeu ne soit réalisé. Ça serait long.
Après coup, Richard se sentait ridicule d'avoir appelé ainsi ce type qu'il ne connaissait pas aussi naïvement qu'un gamin téléphonerait au Père Noël.
Allait-il seulement écouter son message ? Allait-il le faire écouter à tous ses potes pour leur montrer combien était débile le petit con qu'il avait démoli une semaine plus tôt ?
Richard se sentait mal. Sept jours, c'était beaucoup trop long. Il ne sortait quasiment plus de sa chambre. Il sautait les repas et se passait en boucle les DVD qu'il avait achetés tout au long de la première semaine. Il n'osait plus dépenser l'argent qui lui restait.
Quatre jours, cinq jours, six jours... c'en était bien fini de la philosophie...
Et, tout à coup, le soir du sixième jour, il réalisa l'énormité de sa bêtise : il n'avait même pas expliqué à la bonne fée comment le joindre ! Pas de numéro, pas d'adresse. Rien. Et personne ne savait où il se trouvait depuis près de deux semaines. Quel con !
Même si quelqu'un avait reçu son message, il n'avait même pas été fichu d'indiquer la manière de lui adresser la réponse. Déjà qu'il croyait de moins en moins à la possibilité d'une station-service qui lui tomberait du ciel... autant dire que, là, il n'y avait plus aucune chance.
Où alors il faudrait rappeler. Mais peut-être que le type en noir considèrerait cela comme un deuxième souhait... Tant pis, il n'avait qu'à faire attention. Ou alors un SMS peut-être... Tout ça lui semblait maintenant tellement ridicule...
Il se résolut à quitter l'hôtel le lendemain et à rappeler la messagerie. Mais en demandant cette fois à ce qu'on le rappelle pour pouvoir discuter d'homme à homme !

Richard s'endormit vers quatre heures du matin. A sept heures et demi précise, un homme vint cogner à sa porte.
Richard mit plus de cinq minutes à l'entendre. Il se leva à moitié nu, l'esprit enveloppé dans un épais brouillard en se demandant qui venait l'emmerder aussi tôt le matin.
Il ouvrit la porte et écarquilla les yeux en voyant devant lui un homme en noir. Son premier réflexe fut de reculer et d'essayer de voir combien ils étaient, cette fois.
Mais il était seul. Très classe mais plutôt mince. En fait, Richard fut rassuré quand il le vit enlever ses lunettes noires (ce que les trois autres n'avaient pas fait) et lui tendre la main :
"- Bonjour, je m'appelle Martin. Je suis le comptable de M.Vitti.
- ...Bonjour."

Richard s'écarta pour laisser entrer monsieur Martin. Celui-ci s'installa sur l'unique chaise de la chambre et Richard s'assit sur le lit après avoir rapidement passé un T-shirt.
"- Monsieur Vitti m'a transmis une demande de votre part au sujet d'une... station-service, c'est bien cela ?
- ...Oui.
- Bien. Je vous le dis tout de suite, cela n'a pas été facile à régler. Mais bon, j'ai déjà là des papiers à vous montrer sur une affaire qui pourrait rapidement se conclure.
- ...Ah ?
- Oui, c'est une station-service tout à fait correcte, tenue par un propriétaire qui doit prochainement partir à la retraite, dans la banlieue de Clermont-Ferrand.
- Clermont-Ferrand ?
- Oui. Mais la station-service est située sur l'un des principaux axes d'entrée et de sortie de la ville. Il n'y a absolument aucun problème de fréquentation. Des clients tout au long de l'année.
- ...Mais c'est beaucoup trop loin. Je n'ai pas envie de partir.
- Peut-être alors préfèreriez-vous discuter de cela directement avec M.Vitti. Moi, je fais ce que je peux pour vous. Si vous n'êtes pas satisfait de mon travail, c'est avec lui qu'il faudra en parler."
"Je veux que tu comprennes bien dans quel genre de conte de fée tu viens de foutre les pieds !"
Au regard de monsieur Martin, Richard se rappela des paroles de la "bonne fée" qui ne faisait apparemment qu'un avec ce mystérieux monsieur Vitti.
"- Excusez-moi, c'est que... je ne sais pas comment aller m'installer aussi loin.
- Mais pas de problème, je suis à votre disposition. M.Vitti m'a demandé de rester avec vous jusqu'à ce que vous soyez installé. D'abord, vous travaillerez avec l'actuel propriétaire de la station pendant un peu plus de six mois jusqu'à ce qu'il prenne sa retraite. Après, par contre, il faudra vous débrouiller.
- Mais... après, la station-service sera à moi ?
- Pas exactement. Ce sera d'abord une sorte de gérance : vous verserez chaque mois une rente au propriétaire. Après quoi, s'il décide de vendre et que vous vous êtes montré capable de faire tourner l'affaire, vous serez prioritaire pour acquérir le bien... Mais il y a là beaucoup de subtilités administratives : je serai là pour vous aider et vous les expliquer.
- ...
- ...Mais vous n'aurez rien à verser à M.Vitti.
- C'était justement ce que je voulais savoir... Quand devons-nous partir ?
- Et bien, aujourd'hui je vais vérifier si vous avez avec vous les papiers nécessaires pour signer le contrat avec le propriétaire.
- Je n'ai sur moi que ma carte d'identité.
- Bien. Nous passerons donc à la mairie de Narbonne récupérer rapidement ce dont vous aurez besoin... Nous pourrons partir cet après-midi."
Richard passa rapidement sous la douche en se disant qu'il avait effectivement foutu les pieds dans un drôle de conte de fées.

 

ben ça alors...