22 mai 2005

Richard sentit quelque chose qui roulait dans sa bouche... Merde, ils lui avaient pété une dent... Il sentait une de ses dents se balader sur sa langue ! Puis il se prit un autre coup de pied dans l'estomac qui faillit la lui faire avaler.
Il en avait déjà pris, des dérouillées, mais jamais comme celle-ci. Il savait qu'il devait beaucoup d'argent à Kovaleski. Pourtant, les mecs qui le démolissaient ne bossaient sûrement pas pour lui... Kovaleski utilisait des petites frappes qui traînaient le soir dans les rues de Narbonne ; des petits merdeux trop heureux de pouvoir bastonner un mec à trois contre un et d'empocher du fric sans trop se faire peur.
Richard avait d'ailleurs pensé les rejoindre un jour : devenir un pit-bull de Kovaleski et dire à sa mère "j'ai trouvé du travail". Mais il était encore "trop jeune", lui avait-on répondu... "mais, par contre, tu peux aller t'asseoir au poker". Et il s'était assis. Et il avait gagné. Et puis il avait perdu...
Ce soir-là, il sortait de son squat - son hôtel des temps difficiles - pour rejoindre Fresco dans un bar quand il fut chopé par ces trois mecs en costard - pas en jeans-baskets - qui l'avaient jeté dans l'impasse Devigne. Et, là, la baston avait commencé.
Sur les trois Men in Black, l'un était resté en arrière et s'était assis sur un vieux chauffe-eau abandonné pendant que les deux autres - les deux plus gros - commençaient à lui casser la tête. D'abord à coups de poing...
Richard avait rapidement compris qu'il valait mieux s'écrouler à terre et attendre que ça se passe. Alors à coups de pieds. Régulièrement, les deux molosses s'arrêtaient de taper pour réajuster leur costard et vérifier qu'ils n'avaient rien taché : la classe, quoi. Rien à voir avec les mecs de Kovaleski.

 

Le coup de pied dans l'estomac fut heureusement le dernier de la série... Richard était plié, face contre terre, en essayant péniblement de se relever un peu. Il voulait cracher sa dent avant qu'elle ne s'enfonce trop loin dans la gorge. Alors, le troisième homme en noir se leva et s'approcha de lui. Il le regarda, s'accroupit et lui donna un mouchoir propre pour essuyer sa bouche en sang.
Richard pouvait maintenant le regarder de près... Non, il ne l'avait jamais vu de sa vie.
"Qui êtes-vous ?" articula-t-il péniblement.
"Je suis la bonne fée, ta marraine."
Richard eut un rire nerveux qui lui explosa dans la bouche. Mais, dès qu'il vit qu'il crachait du sang et que sa dent roulait sur le bitume, il fut pris d'une grimace plus appropriée à la situation et à la douleur violente qui lui remontait de ses côtes.
"- Qu'est-ce que vous dites ?
- Je suis venu t'annoncer une très bonne nouvelle. Des gens sont venus me dire que de méchants garçons te voulaient du mal. Alors je suis venu. Et, devine quoi ? toutes tes dettes ont été payées.
- Quoi ?
- Oui. Tu ne dois absolument plus rien à... Kovaleski. Je lui ai tout payé, et j'ai même donné un petit supplément pour qu'il t'interdise pour toujours de retourner dans l'une de ses caves à jeux merdiques.
- ...
- Dis-moi merci, ça suffira.
- ...
- Bon, puisque tu sembles avoir du mal à croire à tout le bonheur qui t'arrive, je vais t'annoncer la suite de cette bonne nouvelle..."

Richard avait renoncé à se redresser. Il restait sur le ventre, la joue sur le sol en se disant qu'il devait être en train de vivre un moment extrêmement rare dans la vie d'un homme. La solution la plus évidente semblait être que ce type se foutait de sa gueule et ça lui rappelait une de ces blagues de bistrot qui finissent généralement par des sévices sexuels.
Bref, Richard s'attendait au pire.
Il se sentit soulevé par les deux autres types qui le traînèrent et l'adossèrent contre un des murs de l'impasse. Le troisième s'approcha et sortit un petit papier de l'une de ses poches. Il le déposa dans la main de Richard et attendit que celui-ci le déplie :
"06-94-27-68-12", c'était tout ce qu'il y avait d'écrit.
Le troisième homme s'accroupit de nouveau et près de son oreille :
"Richard, mon petit Richard. Tu ne me connais pas, mais je suis venu t'annoncer une bonne nouvelle. Je vais maintenant m'occuper de toi et t'aider à ne plus avoir d'ennuis. Je te donne droit à trois souhaits. Oui, trois souhaits. A chaque fois que tu voudras que j'exauce un de tes souhaits, tu n'auras qu'à téléphoner à ce numéro. Tu tomberas sur une messagerie et tu m'expliqueras ce dont tu as besoin. Et sept jours plus tard, j'apparaîtrai pour réaliser ton rêve. Mais, fais attention, au bout de trois appels, je ne te répondrai plus. Il faudra donc bien réfléchir."

La "bonne fée" lui parlait doucement mais elle le regardait avec un air qui enlevait à Richard toute envie de rigoler. Il essayait difficilement de comprendre ce qui se passait tout en répertoriant toutes les douleurs que son corps lui faisait ressentir. La situation était sûrement ridicule mais il en rigolerait plus tard. Un jour, peut-être...
Les deux molosses qui accompagnaient la "bonne fée" finirent de le relever et Richard put constater qu'il n'était, finalement, pas trop mal en point : il pouvait encore marcher... en se tenant aux murs. Il cherchait des yeux où sa dent avait bien pu disparaître.
La "bonne fée" sortit alors une enveloppe d'une autre de ses poches et la lui tendit.
"Tiens, voilà au moins de quoi te payer un bon dentiste." Effectivement, l'enveloppe était épaisse et plutôt moelleuse... Les trois hommes s'écartèrent, arrangèrent une dernière fois leur costard et s'apprêtèrent à quitter l'impasse.
"- Mais, si vous me voulez du bien, pourquoi êtes-vous venu me casser la gueule ?
- Pour que tu comprennes bien dans quel genre de conte de fées tu viens de foutre les pieds, c'est clair ? Et aussi pour te dire que je déteste les petits cons qui font des blagues au téléphone !"
Et il lui planta un grand coup de poing dans l'estomac. Richard se plia et retomba par terre. Les trois hommes quittèrent l'impasse.

 

le lendemain...