15 avril 2017

Richard n'avait jamais avoué à Caroline l'histoire des "trois souhaits", ni les liens exacts qui le rattachaient à Antonio Vitti. Elle en était restée à l'explication d'un "oncle éloigné qui lui avait avancé l'argent nécessaire pour s'installer à Clermont- Ferrand".
Ce n'était certainement pas le moment de lui révéler un secret aussi farfelu que, pourtant, il aurait aimé partagé... surtout pour partager ces sept jours d'attente durant lesquels il se sentit tellement faible et ridicule... Faible et ridicule.
Et une enveloppe arriva au matin du septième jour. Une enveloppe kraft, demi-format, légèrement épaisse.
Richard la récupéra dès l'arrivée du courrier mais il dut attendre plus d'une heure avant de pouvoir être seul pour l'ouvrir. Il s'enferma dans la réserve de la boutique.

 

L'enveloppe venait de Marseille. Elle était remplie de... coupures de presse. Mais qui avait bien pu envoyer cela ?
"ANTONIO VITTI est mort". "La fin d'un millionnaire controversé." "La mort d'un parrain ?", "Antonio Vitti : une histoire marseillaise"...
Tout cela datait déjà de plus de deux ans. Antonio était mort... d'une crise cardiaque. Dans chaque article, les questions fusaient autour de son histoire, de ses affaires, de sa fortune. Il était mort alors que trois enquêtes avaient été ouvertes sur ses bilans comptables. La date du procès était déjà prévue quand son corps avait été retrouvé, seul, dans son appartement.
Richard parcourut fébrilement ces articles où s'emmêlaient les titres et les photos : il les replongea dans l'enveloppe et sortit brutalement de la réserve.
Il traversa la boutique les larmes aux yeux et ses sanglots éclatèrent dès qu'il fut rentré chez lui.
Caroline vint le rejoindre et il lui raconta tout. Et il lui montra même l'enveloppe qu'il avait reçu. Elle l'écouta. Elle ouvrit l'enveloppe et en examina le contenu. Elle la referma et ressortit sans rien dire. Ils n'en reparlèrent plus... Caroline semblait avoir vaguement compris quelque chose mais elle n'avait rien à dire. Rien d'intéressant. Richard non plus d'ailleurs. Le conte de fée ou, plutôt, la plaisanterie était bien terminée. La vie devait reprendre, autour d'Alexandre et de Johan qu'ils allaient voir chaque jour à l'hôpital.

La vie reprit peu à peu. Un mois après l'accident, un nouveau rythme s'était installé au sein de la famille, et chacun jouait son rôle. Richard dormait mal et il rêvait d'Antonio.
Ou plutôt c'était Antonio qui venait s'imposer dans ses rêves. Il ne l'avait vu que deux fois dans sa vie et, maintenant, ils ne se quittaient plus. Richard ne pouvait pas s'empêcher de lui reprocher de n'avoir pas tenu parole...
Antonio lui devait ce troisième souhait, ils se l'étaient rappelé cinq ans auparavant. Il n'avait pas le droit de l'abandonner comme ça. Il lui avait dit qu'il faisait partie de sa famille et qu'il n'y avait rien de plus important que sa famille.
Dans ses rêves, Richard se retrouvait comme un enfant déçu réclamant la promesse qu'on lui avait faite. Ses parents l'avaient déjà déçu mais Antonio n'était pas comme eux.
Dans ses rêves, Antonio se contentait de lui répondre : "Mais oui, tu fais partie de la famille. Mais c'est comme ça." Et Richard le harcelait, l'accusait de tout les crimes possibles. Jusqu'à une nuit où son rêve le ramena dans une impasse déserte... Dans un lieu qui lui rappelait vaguement quelque chose.
Cette fois, Antonio n'était pas seul. Richard voulut dire quelque chose mais un type en noir l'attrapa à la gorge tandis qu'un autre commençait à lui tabasser les côtes. Et cette fois ils n'étaient pas que deux. Richard ne savait plus : il en voyait trois, quatre, cinq... peut-être plus fondre sur lui et le frapper à tour de rôle. Et Antonio était là à le regarder, l'air menaçant.
Une fois encore, Richard décida de s'écrouler par terre et d'attendre péniblement que l'orage passe. Au bout de quelques minutes, il vit Antonio se pencher sur lui... il parlait mais Richard n'entendait rien.
Tout à coup, Antonio plongea la main dans une de ses poches et en sortit une enveloppe. Il la déposa devant Richard en le regardant avec un sourire menaçant. Puis il sortit un petit bout de papier plié qu'il laissa tomber à ses pieds. Et il disparut.
Richard sentait qu'il se réveillait petit à petit. Il voyait le papier devant lui. Il avait mal mais il devait absolument l'attraper. Vite. Il rampait. Il prenait le papier. Il avait du mal à le déplier. Sa vue se brouillait de plus en plus : l'impasse disparaissait autour de lui. Le papier était flou. Il n'arrivait pas à le lire. Il ouvrit les yeux le plus grand possible... mais c'était trop tard !

Richard se réveilla en sursaut et se redressa sur son lit. Il était essoufflé, il avait mal aux côtes, sa gencive le brûlait.
Il s'était passé quelque chose. Une enveloppe. Un bout de papier. Une enveloppe, un bout de papier. Bien sûr, il savait ce que cela lui rappelait. Mais que devait-il faire ? Une enveloppe... Il était 3h30 du matin. Caroline dormait. Elle avait pris un somnifère. Une enveloppe... Où l'avait-il mise ?
Il se leva et, machinalement, il se dirigea vers le tiroir à chaussettes de sa commode. Il n'avait pas osé jeter l'enveloppe et il l'avait rangée à côté de son téléphone portable.
Il la retrouva et il alla s'asseoir dans le salon. Il patienta cinq minutes pour laisser le silence de la maison pénétrer doucement en lui. Seul, il commença à feuilleter les différents articles, certains originaux, d'autres photocopiés. Puis il se mit à les lire attentivement.
Antonio était bel et bien mort. "Parti de rien", "sans un sou", "après quelques séjours en prison pour de petits braquages". "Il disait avoir payé sa dette". "Réussite étonnante grâce à une petite entreprise d'import-export", "Homme d'affaires spécialisé dans les produits alimentaires de luxe", "il se lance dans des acquisitions immobilières". "Il participe à tous les programmes de réaménagement et de réhabilitation du centre-ville de Marseille." "Soupçonné de corruption et de trafic d'influence", "mis plusieurs fois en garde à vue mais relâché", "visé à plusieurs reprises par des tentatives d'assassinat", "se déplaçait toujours entouré d'une garde rapprochée". "Il se plaignait régulièrement des complots politico-judiciaires qui cherchaient à l'éliminer par tous les moyens". "Douze ans avant sa disparition, une campagne de règlements de comptes avait décimé le milieu marseillais"... "en était-il à l'origine ?" "Après cela, il ne fit plus parler de lui et mena une existence discrète jusqu'aux dernières enquêtes ouvertes peu avant sa mort", "une crise cardiaque, à l'âge de 54 ans". "Il s'était séparé de la quasi-totalité de ses activités commerciales et financières", "que laisse-t-il réellement derrière lui ?"
Vers 4h30, Richard avait l'impression d'avoir appris par coeur tout ce qui avait fait la vie d'Antonio : un départ difficile, une ascension fulgurante, des luttes permanentes, une envie de se faire oublier. Quelques certitudes et des dizaines de questions sans réponse... C'était comme s'il venait de rencontrer Antonio pour la troisième fois.
A chaque rencontre, le portrait s'épaississait et le personnage lui apparaissait de plus en plus complet. Composé de ses multiples visages...
Antonio avait-il réellement une famille ? En tout cas, aucun journaliste n'en faisait nulle part mention. Antonio avait tenu parole : personne n'aurait à supporter le poids de son héritage.

Mais qui avait bien pu lui envoyer tout cela ?
Et c'est en repliant tous les articles que Richard fit tomber devant lui un petit bout de papier plié en quatre.

 

on l'ouvre ?