Vampires 4

La voix d'Howard n'était plus celle d'un être humain mais il parvenait à se faire comprendre... Le jeune chasseur n'en croyait ni ses yeux ni ses oreilles.
Au lieu de le tuer, le vampire lui raconta d'où il venait et la vie qu'il avait vécue avant de... Une vie faite d'actions, de questions, de regrets et de doutes.
Lui aussi - en tant que flic puis en tant que vampire - il avait semé la mort des dizaines ou peut-être des centaines de fois. D'abord sans remord. Et puis il avait pris conscience de la nature humaine de ceux qu'il considérait comme ses ennemis et, à partir de là, il n'avait plus trouvé le repos... Penser à son ennemi comme à un être humain : comme à soi-même. Imaginer, derrière l'apparence, toute les fragilités et les souffrances de la nature humaine. Peut-être encore plus humaine que la vôtre. Compatir. Chercher à comprendre.
Le jeune chasseur avait-il déjà imaginé que ces vampires qu'il prenait tant de soin à éliminer aient pu venir du même monde que lui ? Ils étaient les tristes restes de personnes dotées de tous les sentiments possibles : certains avaient eu une vie juste, d'autres avaient enfreint les règles mais tous avaient, à un moment ou à un autre, réfléchi à la valeur de leur vie et au poids des actions qu'ils avaient commises.
Howard lui expliqua comment, lui-même, il se sentait peu à peu redevenir humain...
Il savait qu'il ne reviendrait jamais en arrière mais il se sentait à nouveau capable de choisir et de douter.
"- Combien de vampires as-tu déjà exterminés ?
- Je ne sais pas.
- Et que penserais-tu si chacun de ces vampires venait hanter tes rêves sous les traits de l'être humain qu'il avait été.
- Je ne sais pas... J'ai fait ce que j'avais à faire pour les empêcher de continuer à tuer.
- Crois-moi, cela ne suffira pas."
Howard saisit le chasseur par les cheveux et plaça ses crocs à quelques millimètres de sa gorge.
"- Dis-moi comment tu t'appelles si tu veux que je pense à toi comme à un être humain !
- Je m'appelle Jonathan."
Le jeune chasseur Jonathan commença à raconter sa vie. Howard posait des questions et exigeait des réponses pour ne pas laisser son instinct prendre le dessus. Il avait besoin de se nourrir mais les paroles du jeune chasseur l'aidaient à ne pas commettre un nouveau crime... Il se nourrissait de son histoire.
Ce curieux dialogue dura toute la nuit. Quand l'aube commença à se lever, les deux hommes -le vivant et le mort-vivant - étaient aussi épuisés l'un que l'autre.
Jonathan commençait à reprendre des forces. Howard devait partir. Il hésita une dernière fois à lui trancher la gorge... Cela aurait été si simple...
"Au revoir, Jonathan. Mon semblable. Mon frère."
Il le laissa à terre et partit se mettre à l'abri de la lumière du jour.

Dans les semaines qui suivirent, Howard trouva refuge dans le clocher de l'église de White Church. Une église délaissée où presque plus personne ne venait. Où les cloches ne sonnaient plus.
Il y restait le jour comme la nuit. Depuis qu'il avait épargné le jeune chasseur, il savait que, en renonçant à tuer, il se condamnait à une mort certaine. Lente et douloureuse. Mais il se sentait redevenu suffisamment humain pour faire face à toutes ces souffrances. Serait-il pardonné grâce à cela ?
Il ne se nourrissait plus. Il devenait de plus en plus faible mais, curieusement, son semblant de vie refusait de disparaître.
Il se déplaçait difficilement. Sa gorge lui semblait vissée par une serrure en acier. La nuit, il se plaçait simplement au sommet du clocher pour observer les rues de White Church. Plus aucun vampire ne se manifestait. Les gens recommençaient à sortir.
Howard les observait et essayait d'imaginer la vie qui leur correspondait... Un mari rentrait tard chez lui. Un couple sortait dîner. Des gamins traînaient dans les ruelles. Des patrouilles de police faisaient leur ronde. Étaient-ils conscients de la chance qu'ils avaient ?
Il assista même à des poursuites et à des agressions. Mais il ne bougea pas et ne porta aucun jugement. D'autres le feraient sans doute à sa place...
Il se sentait dépérir au fil des nuits mais il vivait encore.
Son agonie ne devait-elle jamais finir ? Et que devenait le jeune chasseur ? Jonathan. Distribuait-il toujours la mort avec autant de sang-froid ? Que pouvait-il bien faire d'autre ?
Un soir, du haut de son clocher, Howard crut d'ailleurs l'apercevoir assis, seul, sur un banc. Au milieu du parc.
Oui, c'était bien lui. Il était là. Immobile. Il donnait l'impression d'attendre. Calme. Comme pour un rendez-vous prévu.
Howard se sentait à peine la force de marcher. L'idée de devoir descendre jusque là-bas lui était presque insupportable... Quand la nuit fut tout à fait noire, Jonathan était toujours là. A part lui, il n'y avait plus personne.
Howard se dit que c'était sans doute, pour lui, sa dernière chance de parler avec quelqu'un. De croiser un regard. Jonathan l'attendait, il en était sûr... Peut-être préparait-il un mauvais coup mais, au fond, que risquait-il à le rejoindre ?
Le trajet jusqu'au parc fut long et pénible. Howard traversa la rue comme un cadavre sur pattes. Un simple coup de vent aurait suffi à le renverser. Il pénétra lentement dans le parc. Jonathan était là, assis devant lui.
Contrairement à l'impression qu'il donnait de loin, le chasseur semblait particulièrement nerveux. Il observait Howard qui s'approchait. Sa respiration était lourde et son regard fuyant.
"- Bonsoir, Jonathan. Que veux-tu ?
- Je ne sais pas... Savoir si tu es réellement un être humain.
- Je ne suis plus grand chose... Ni mort, ni vivant.
- Officiellement, il n'y a plus un seul vampire en ville. Mais je savais que tu étais le dernier.
- Le dernier... Que vas-tu faire maintenant ?
- J'aimerais... rentrer chez moi et arriver à dormir un peu.
- Pourtant, tu as fait ce que tu avais à faire... Les vampires sont des êtres dangereux et sanguinaires.
- Je devrais donc te tuer et finir mon travail, n'est-ce pas ?
- Ton travail est terminé... Je ne suis plus en état de faire du mal à qui que ce soit.
- Alors, peut-être que j'ai un compte plus personnel à régler avec toi."
Jonathan sortit une arbalète de dessous sa veste et tira une flèche d'argent dans la poitrine d'Howard.
Le dernier vampire s'effondra sur lui-même sans ressentir de véritable douleur. Il sentait sa vie lui échapper pour la seconde fois.
Il voulut simplement dire à Jonathan que ce n'était pas cela qu'il fallait faire... Mais le jeune chasseur débordait de haine et de fatigue.
Il s'approcha sans rien dire et Il sortit une gousse d'ail de sa poche.
Howard gisait sur le sol. Jonathan lui enfonça la gousse d'ail au fond de la bouche.
Au moment de disparaître définitivement, Howard croisa une dernière fois le regard du chasseur.
Il se souvint alors de ce qu'il avait ressenti il y a... très longtemps. Lorsque, encore humain, il avait abattu le jeune Ricardo Rodriguez.

Howard... Howard ?