China Girl

Quelques minutes après le départ de sa mère, Tom trouva la force d'arrêter son entreprise de démolition de l'appartement.
Il devait reprendre le dessus... sur lui-même.
Encore sous le choc de ce qu'il venait de faire, il sortit en courant de l'appartement puis il descendit par les escaliers jusqu'en bas de l'immeuble... Puis il remonta les escaliers jusqu'au dernier étage. Puis il redescendit. Il n'y avait personne.
"Dans un immeuble avec ascenseur qui fonctionne, il n'y a que les fous qui circulent dans les escaliers."
Il pouvait se défouler en faisant de grands gestes, comme de grands moulinets avec ce f.... bras qui n'arrêtait pas de le démanger, de le picoter, de le brûler...
Combien de temps tout cela dura-t-il ?
Puis les douleurs commencèrent à s'apaiser. Il descendit une dernière fois jusqu'au rez-de-chaussée... et il se sentit capable d'aller prendre l'air dans la rue sans se faire remarquer.
C'était l'après-midi et il faisait beau. La circulation était encore calme car les gens n'étaient pas encore sortis de leur travail, ni les élèves de leurs cours.
Tom s'installa sur un banc pour se détendre. Simplement pour respirer. Il voulait juste apprécier de ne plus avoir mal. Dans sa tête, il repoussait toutes les pensées qui affluaient pour lui rappeler les événement terribles de cette folle journée.
Non, il ne voulait plus y penser. Au moins, pas tout de suite. Encore quelques instants...
Il ferma les yeux. Assis tout seul, il se forçait à se chanter ses chansons préférées pour se noyer l'esprit avant que quelqu'un ou quelque chose ne lui rappelle que... Chut !
Il se détendait. Il se décontractait mais, petit à petit, une étrange mélodie vint s'insinuer dans son esprit :
Scipion, Fantaboy, Boule noire, Edmonde...
Scipion, Fantaboy, Boule noire, Edmonde...
Scipion, Fantaboy, Boule noire, Edmonde...
Scipion, Fantaboy, Boule noire, Edmonde...
Et il ouvrit les yeux.
"P..... mais bien sûr !" Pourquoi n'y avait-il pas pensé plus tôt ?
Jamais il n'avait agi comme ça. Mais c'était le vieux qui avait tout déclenché !
Le bus, le coup de poing, l'engueulade et tout le reste.
Depuis que le vieux l'avait frappé avec sa canne, il n'avait plus été capable de retenir son bras gauche (sauf devant sa mère) et tout lui avait explosé à la figure.
C'était sa faute à lui ! C'était la faute du vieux !!
Mais qu'est-ce qu'il avait pu bien lui faire ?
Sans plus réfléchir, Tom se leva de son banc. Son bras recommençait doucement à le picoter. Il retourna à toute allure dans son hall d'immeuble. Il appela fébrilement l'ascenseur puis, une fois à son étage, il se rua dans le couloir jusqu'à la sonnette qui était juste à côté de l'interrupteur.
Il appuya frénétiquement sur la sonnette jusqu'à ce que la porte s'ouvre. Cette fois, il ne se trompait pas de bouton.
"Oui, qu'est-ce que c'est ?"
Et Tom resta bouche bée.
Ce n'était pas le vieux qui était venu lui ouvrir... mais une superbe jeune fille.
"Oui ?"
Il ne s'attendait absolument pas à ça. Il la regardait sans bouger. Elle était si... Ce n'était pas une beauté provocante mais une jeune fille simple et charmante... souriante et qui semblait d'une grande gentillesse.

"- Je... je suis venu ce matin et j'ai vu le vieux... monsieur. Il était énervé et...
- Ah oui. C'est vous qui êtes venu déranger mon grand-père par erreur. Attendez, je vais le chercher."

La jeune fille se retourna vers l'intérieur de l'appartement.
"Grand-père ! C'est le garçon de ce matin. Je crois qu'il est venu s'excuser. Entrez donc, il va arriver."
Tom fit quelques pas à l'intérieur de l'appartement. Le vieillard arriva lentement en s'appuyant sur sa canne et en marmonnant :

"- S'excuser... ben voyons. J'aimerais bien voir ça.
- Qu'est-ce que vous m'avez fait ce matin ?
- Comment ça ?
- Oui, quand vous m'avez frappé l'épaule.
- Je vous ai frappé ?
- Oui, avec votre canne et, depuis...
- Tiens, tiens. Et, depuis, que se passe-t-il ?

Tom sentait bien que le vieillard se moquait de lui et son bras recommençait vraiment à le faire souffrir. Il perdit patience.

- Dites-moi ce qui s'est passé !!
- Ne vous énervez pas, voyons.
- Grand-père, que se passe-t-il ?
- Ne t'inquiète pas, Coralie. Il semble juste que notre ami ait eu du mal à contrôler ses émotions qui viennent du plus profond de lui-même. Cela ne nous concerne pas.

Tom se jeta sur le vieillard et l'attrapa par le col.

- Tout ça, c'est de votre faute ! A cause de vous, j'ai frappé quelqu'un, je risque d'être viré du lycée, je me suis disputé avec ma mère et, partout où je passe, je me sens prêt à tout casser !! Vous le comprenez, ça ??
- Arrêtez ! Lâchez-le, s'il vous plait !
- Oui, lâchez-moi et essayez plutôt de vous regarder en face ! J'ai simplement amplifié vos pulsions pour que vous ne puissiez plus vous cacher et que vous preniez enfin conscience de vos actes. Vous tous, les jeunes, vous aimez tellement vous défiler et fuir vos responsabilités !
- Je ne suis pas "vous tous, les jeunes" ! Je n'avais jamais rien fait à personne et je suis simplement passé au mauvais endroit au mauvais moment !
- Grand-père, fais quelque chose. Tu as sûrement dû te tromper... Les autres fois, ça ne les avait pas mis dans des états pareils.
- En effet, il semble avoir pris un drôle de raz-de-marée dans la figure depuis ce matin. Mais je maintiens que, tout ce qu'il a fait, il l'a fait intentionnellement et il doit en assumer les conséquences.
- Je les assumerai d'autant mieux si vous m'enlevez ce foutu picotement du bras.
- Alors demandez-le moi poliment.
- S'il vous plait !!!
- Grand-père !
- D'accord, d'accord. Lâchez-moi, sortez d'ici et vous ne sentirez plus rien... Mais, pour le reste, il est possible que toutes les conséquences du raz-de-marée ne soient pas encore terminées."

Au moment où le vieil homme disait cela, Tom entendit des bruits de pas précipités qui fuyaient dans le couloir de l'immeuble. Une voix...
Sans savoir encore pourquoi, il lâcha immédiatement le vieillard et il repartit en courant vers son appartement. La porte était ouverte...
Il avait laissé la porte ouverte en sortant !
En rentrant chez lui, il contempla médusé le spectacle qu'aurait laissé derrière lui un ouragan, un tsunami ou... une bande de vandales venus se venger.
En plus des dégâts que Tom avait déjà causés lui-même dans sa fureur, tout avait été méthodiquement renversé, retourné, cassé, déchiré. Tout avait été dévasté.
A terre, il remarqua que son ordinateur avait été allumé avant d'être balancé.
Une phrase de dédicace avait été laissée sur l'écran :
"On aurait bien aimé causer avec toi mais tu n'étais pas là...
Merci quand même d'avoir laissé la porte ouverte."
Scipion, Bodhvar, Black Ball, Conchy et China Girl

Comme promis, Tom n'avait plus mal au bras mais il ne s'en rendit pas vraiment compte. Au terme de cette horrible journée, il se sentait bel et bien coupable de tout ce qui s'était passé.
Il restait là, seul, en gémissant :
"C'est de ma faute. C'est de ma faute... Tout est de ma faute."
Et toujours ces mots stupides qui tournaient en boucle dans sa tête :
Scipion, Fantaboy, Boule noire, Edmonde, China girl...
Scipion, Fantaboy, Boule noire, Edmonde, China girl...
Scipion, Fantaboy, Boule noire, Edmonde, China girl...

 

Au bout de combien de temps sa mère est-elle revenue ?
Tout était saccagé et Tom lui tournait le dos, assis par terre, sans bouger. Sans rien dire... Entre stupeur et panique, elle jeta un coup d'oeil sur l'ordinateur que Tom avait redressé.

"- Alors ce sont eux qui ont fait ça... Scipion, c'est bien le surnom de ce petit c.. de Fallard, n'est-ce pas ? Alors ce sont eux...
- Oui mais j'avais laissé la porte ouverte et...
- Ça, ne t'en fais pas.
- Mais ils diront que ce n'était pas eux.
- Ne t'inquiète pas. Tu vas voir ce que c'est d'avoir une mère qui côtoie chaque semaine des avocats et des conseillers juridiques.

Elle essaya encore de le rassurer.

- J'ai passé un long moment à ton lycée, cet après-midi.
- Pourquoi ?
- J'ai convaincu le proviseur de ne pas convoquer de conseil de discipline. L'incident sera classé comme une simple altercation entre élèves avec, au maximum, une journée de renvoi.
- Alors, c'est fini ?
- Oui et je sais que cela ne se reproduira pas.
- Et l'appartement ?
- Je vais prendre quelques photos pour l'assurance et pour la plainte que je vais déposer. Demain, j'irai acheter quelques magazines de décoration intérieure... Excuse-moi pour tout à l'heure. Je vais m'occuper de tout... Est-ce que tu as autre chose à me dire avant que je ne me mette au rangement ?
- Je... n'ai plus mal au bras.
- Tant mieux pour toi. Si tu veux, tu peux aller te reposer un peu maintenant. Tu as vraiment l'air épuisé."

Tom se leva pour embrasser longuement sa mère. Avant d'aller s'allonger sur son lit, il demanda une dernière chose :

"- Maman...
- Oui ?
- Demain matin...
- Quoi ?
- N'achète pas le journal, s'il te plait."

 

Tsunami...