Boule Noire
Après l'entrevue avec le proviseur, le retour à l'appartement - en début d'après-midi - ne fut pas non plus de tout repos.
A partir du moment où sa mère était entrée dans le bureau du proviseur, Tom n'avait plus dit un seul mot.
Il ne savait plus quoi dire ou, plutôt, il était beaucoup trop nerveux pour pouvoir exprimer correctement tout ce qu'il avait à dire.
Il avait observé le visage de sa mère se décomposer au fur et à mesure du récit de "l'intolérable agression" mais il n'avait pas répondu aux questions qu'elle lui avait posées pour "essayer de comprendre ce qui s'était passé."
Au final, elle s'était engagée à "convaincre Tom de tout faire pour atténuer les conséquences de son acte."
"Je vous fais confiance, madame. Je sais que vous traitez chaque jour des situations autrement plus graves. Au revoir."
Le temps de passer prendre des sandwichs ("Avec cette histoire, je n'aurai pas le temps de déjeuner avant mon prochain rendez-vous"), elle raccompagna Tom en lui expliquant que, dès sa journée finie, elle l'emmènerait à l'hôpital pour "prendre des nouvelles de Fallard et s'excuser sincèrement auprès de lui."
Tom ne répondait toujours pas.
Une fois arrivés, elle commença à perdre patience.
"- Mais enfin, qu'est-ce que tu attends pour réagir ? Que tu sois viré du lycée ? Que tu sois mis en garde à vue pour coups et blessures ? Et puis, par pitié, arrête de te tenir tout le temps l'épaule : on dirait un malade mental.
- J'ai mal. J'ai pris un coup ce matin.
- Et c'est pour ça que tu t'es défendu ?
- Non, ça n'a rien à voir...
- Tu en es sûr ?
- Évidemment !
- Bon et, maintenant, qu'est-ce que tu comptes faire ?
- Rester seul, puisque tu as tellement de choses urgentes à faire.
- Eh oui. Je suis désolée mais, aujourd'hui, il y a des gens qui ont vraiment besoin de moi.
- Comme tous les jours... Du moment qu'il s'agit des problèmes des autres...
- Ah ça, c'est facile à dire pour quelqu'un qui n'a pas le sens des responsabilités... Mais vas-y, puisque tu t'es remis à parler, crache-la ta boule noire. Ça ira sûrement mieux après.
Tom serra violemment son bras gauche qui le démangeait de plus en plus et il parla à sa mère comme jamais il ne s'en serait crû capable.
Oui, il ne supportait pas son métier d'assistante sociale qui la faisait voler au secours des uns et des autres alors que lui était simplement le fils modèle qui n'avait jamais besoin de rien.
Grâce à ça, tous les jours, elle se sentait importante - indispensable même - mais savait-elle seulement à quel point lui se sentait misérable et inexistant ?
- Et c'est en cognant sur les autres que tu espères maintenant devenir quelqu'un ?
- Ne dis pas n'importe quoi ! Tu sais très bien que c'est la première fois que ça m'arrive ! Mais bon, tu aurais préféré que je continue à me faire traiter comme de la m.... . Ça aurait été tellement plus facile pour tout le monde.
- Mais ça, ce sont malheureusement des choses qui arrivent tous...
- Je sais, c'est toi la grande experte des problèmes sociaux. Avec une solution pour tout le monde et...
- Et tu crois peut-être que ça changerait quelque chose si j'étais caissière ou femme de ménage ?? Ah, c'est pratique de tout me balancer à la figure. Comme si c'était si simple ! Tiens, parles-en avec ton père, lui qui s'est tiré sous prétexte que "je n'arrivais plus à le comprendre." Ben voyons ! Ça l'arrangeait bien, lui aussi, le chantage affectif entre ses problèmes et ceux des autres. Maintenant, il t'appelle une fois par an, dès qu'il a autre chose à faire que de penser à lui. Mais vas-y, expliques-lui que tout est de ma faute et il fera sûrement l'effort de t'écouter.
- Ce n'est pas juste de dire ça. Papa t'a fait du mal. Moi, je ne t'en ai jamais fait.
- Ah oui ? Et il faudrait que j'attende que, un jour, tu exploses et que tu me plantes ton poing dans la figure à moi aussi ?
- Arrête de parler de ça !!
Le bras gauche de Tom vibrait dans tous le sens, comme s'il avait été sur le point d'exploser.
- Je ne t'expliquerai pas quels rendez-vous urgents tu m'as fait rater ce matin mais je n'ai pas l'intention de rater ceux de cet après-midi... Je t'en supplie, essaie de te calmer. Nous reparlerons de tout ça ce soir."
A peine sa mère eut-elle claqué la porte de l'appartement en pleurant que le bras de Tom se détendit comme un ressort et alla se planter droit dans la porte de la cuisine.
Une fois celle-ci pulvérisée, Tom renversa d'un seul coup toute l'étagère du buffet et commença à saccager son propre appartement.