Haïku 9

 

Le lendemain matin, le jeune prince retourna seul dans la grotte. Avant de repartir, il voulait replacer le manuscrit à côté des autres piles de papiers afin de compléter à nouveau l'énorme travail du moine.
Le vieillard était déjà là, mais les piles de papier avaient disparu.
"- A la différence des parchemins, ces fines feuilles de papier ne peuvent pas être grattées pour être réécrites. Elles me serviront à faire du feu.
- Vous allez brûler tout votre ouvrage ?
- Mon ouvrage ? Mais vous l'avez entre les mains. Il se suffit à lui-même. Tout le reste n'était qu'un ennuyeux travail de recherche. Qui prendrait plaisir à lire un si grand nombre de pages ? Cette petite histoire a été écrite exclusivement pour vous : il fallait d'abord que je fasse l'effort de vous connaître et de vous comprendre pour espérer vous toucher au plus profond de votre âme. Votre caractère difficile ne m'avait pas échappé : je savais que, une fois ma leçon commencée, je n'aurais pas beaucoup de temps pour vous atteindre.
- Il y avait beaucoup d'erreurs dans ce que vous avez écrit sur moi.
- Il y a toujours beaucoup d'erreurs dans les textes trop longs. C'est pourquoi il est indispensable de les raccourcir. Les plus belles paroles ne durent que quelques mots.
- Une violette au coeur / le soleil et la lune / le jeune enfant peut partir.
- Comprenne qui voudra et ce qu'il voudra.
- Je doute que mon père et moi puissions nous comprendre en si peu de mots.
- Peut-être. Mais peut-être aussi n'est-il pas si éloigné des tourments qui vous habitent.
- Comment cela ?
- Et bien, vous et votre père faites partie d'une longue dynastie de souverains. Cette dynastie fut fondée il y a bien longtemps par un empereur dont le souvenir est encore vénéré de nos jours.
- Et alors ?
- Au moment d'accéder au pouvoir, comme ce sera un jour votre cas, la tradition veut que le nouvel empereur aille déposer les offrandes rituelles sur la tombe de ce lointain ancêtre. En d'autres temps - et pour d'autres raisons - j'ai eu moi aussi l'occasion de me pencher au-dessus de cette tombe. Et savez-vous ce que l'on peut y lire ?
- Non, je ne m'y suis jamais rendu.
- Eh bien, pour toute morale de sa longue et glorieuse existence, ce premier empereur ne fit inscrire que trois lignes sur le fronton de sa pierre :

Une seule mère
cent concubines
mon coeur d'enfant

Surprenant, non ? Et tous les empereurs de sa dynastie sont un jour venus se pencher sur cette phrase. Votre père n'a pas pu y échapper.
- Sans doute. En tout cas, il ne m'en a jamais parlé.
- Vraiment ? Peut-être l'a-t-il depuis oubliée..."

 

Lever du jour
brumes du mont
ce qui nous reste