Haïku 6
Quelques temps après cet événement, le jeune prince demanda une audience officielle à son père, ce qu'il n'avait plus fait depuis... ce qu'il n'avait jamais fait.
"- Mon père, noble empereur, je vous demande la permission de quitter le palais pendant quelques semaines. Je souhaite rapporter au vieux moine le texte qu'il a oublié chez nous le jour des fêtes de la nouvelle année.
- Vous souhaitez retrouver le vieux moine ?
- Oui, père, ce texte est à lui. Je dois le lui rapporter.
- Mais... confiez-le donc à l'un de nos cavaliers.
- Ce travail fut fait à votre demande et pour mon éducation. J'estime avoir une part de responsabilité à respecter dans cette triste affaire.
- Mon fils... J'ai été très heureux d'apprendre ce matin que vous aviez sollicité une entrevue pour me parler, ce qui n'était plus arrivé depuis de nombreuses années. Ma fierté grandit encore de vous entendre enfin parler de respect et de responsabilités... Mais je ne comprends pas bien le sens de ce que vous voulez faire.
- Pardonnez mon insolence mais, si vous ne me comprenez pas, contentez-vous de ne pas me retenir.
- Insolence, en effet. Sortez... Je ne sais pas où vous souhaitez aller mais, pour une fois, vous souhaitez enfin aller quelque part."
Le jeune prince organisa lui-même son départ. Il ne rassembla qu'un minimum de bagages et ne réclama que le tiers de l'escorte due à son rang.
Même si le vieux moine était déjà parti depuis plusieurs semaines, il n'était pas encore parvenu, seul sur son âne, jusqu'à son refuge. Le prince et ses cavaliers n'eurent aucun mal à y arriver avant lui.
Le voyage fut pourtant très éprouvant pour le futur empereur. Sa corpulence n'était pas vraiment adaptée à ce type d'effort prolongé. Il n'avait pas non plus l'habitude de se passer trop longtemps du confort de ses appartements et de ses serviteurs. La nourriture était frugale mais, curieusement, il souffrait sans ressentir l'envie de se plaindre comme il le faisait d'habitude.
Une fois arrivés sur les pentes de la montagne où se trouvait la cabane du vieux moine, le prince et son équipage constatèrent que les lieux étaient tout à fait déserts. Comme rien ne leur permettait de s'abriter pour la nuit, ils montèrent un campement à proximité de la grotte où le vieux moine se retirait pour travailler.
Le jeune prince signifia à son escorte qu'il n'était pas question de déposer le manuscrit et de repartir au plus vite : il était venu pour rencontrer le vieux moine et il attendrait là le temps qu'il faudrait. Le capitaine de l'escorte fut chargé d'organiser un système de ravitaillement avec le village le plus proche. De plus, le jeune prince ordonna qu'aucun de ses soldats n'entrât ni dans la cabane ni dans la grotte.
Une nuit et une journée plus tard, le vieux moine n'était toujours pas revenu. Le capitaine expliqua au jeune prince que l'attente pourrait être très longue, que le vieillard était peut-être mort en route ce qui, compte tenu de la distance à parcourir et de son grand âge, ne serait pas surprenant.
Le jeune garçon réfléchit et décida de rester une nuit de plus. Si le moine ne revenait pas, il irait déposer le manuscrit dans la grotte avant de repartir. Le temps devenait froid, ce n'était plus la bonne saison pour rester sur la montagne.
Le lendemain, quand le soleil fut haut dans le ciel, l'escorte princière se prépara au départ. Le prince prit le manuscrit avec lui, tourna le dos à ses soldats et il pénétra seul dans la grotte.