Dragons et Magiciens 6

Ocaris ouvrit une première fois les yeux.
A ce moment là, son visage était fixe et ses pupilles étaient blanches. Cela aurait pu apparaître effrayant mais Guirao avait pris l'habitude de la regarder ainsi. Il aimait être réveillé avant elle et assister à ses transes. Même dans ces moments-là il la trouvait belle...
Et puis elle ouvrit les yeux une seconde fois et ses pupilles reprirent leur couleur habituelle.
" - Bonjour, jeune dame. Quelles sont les nouvelles d'aujourd'hui ?
- Je ne sais pas trop... J'ai reconnu distinctement le Palais mais j'ai l'impression d'avoir vu des... des rats qui s'agitaient tout autour, qui pénétraient à l'intérieur et qui se dirigeaient vers le donjon.
- Des rats ? Il ne faudrait pas qu'une épidémie se déclare pour la venue du roi Zonthar.
- En tout cas, je n'ai pas vu de nouvelles batailles.
- Je pense que la trêve sera respectée des deux côtés... Tu te rends compte ? Voilà plus d'un an que nous travaillons à cette rencontre et elle va enfin avoir lieu... J'espère que tout se passera bien.
- Cela dépendra sûrement de Bedren. S'il n'est pas trop exigeant et s'il ne cherche pas à l'humilier, Zonthar devrait accepter de signer enfin la paix avec lui.
- C'est là tout le problème. Bedren a promis aux membres du Grand Conseil qu'il allait obtenir un traité très avantageux pour les Anlis et qui garantirait la paix et la sécurité sur tout le territoire. En échange de quoi, ils lui accorderont le titre de Prince.
- Cela te semble difficile ?
- Le principal désaccord concernera les dragons. Bedren réclamera leur extermination dans toute la région des montagnes du Nord et Zonthar refusera. Il faudra qu'ils arrivent à trouver un compromis qui satisfasse tout le monde.
- Tu crois que Bedren menacera de détruire les nids que tu as découverts ?
- Je pense que ce serait imprudent de sa part. Il s'appuiera surtout sur les positions prises par notre armée durant les derniers mois et le risque pour les Atlans de subir une invasion générale. Peut-être utilisera-t-il aussi son pouvoir de persuasion. Après tout, pourquoi pas ?
- Tu assisteras aux discussions ?
- J'espère bien, avec tout le mal que je me suis donné pour qu'elles aient lieu... D'ailleurs, il est temps que je me prépare. Si, en plus, il doit y avoir des rats dans le Palais...
- Ne t'inquiète pas pour ça, je ferai vérifier chaque étage par les domestiques... Guirao ?
- Oui ? Tu as une autre prédiction à m'annoncer ?
- En quelque sorte... "
Elle prit sa main et lui murmura à l'oreille :
" Je crois que j'attends notre premier enfant."

 

Tout au long de la journée, Ocaris et tous les autres domestiques durent préparer le Palais pour accueillir le roi Zonthar et sa cour. Leur arrivée était prévue dans la soirée pour commencer, dès le lendemain, les trois jours de négociations qui avaient été prévus.
La trêve durait maintenant depuis plusieurs semaines et de grands espoirs avaient été placés, de part et d'autre, dans cette rencontre. Pourtant, Guirao savait que, en cas de désaccord, les deux souverains seraient capables de reprendre les hostilités.
Grâce à son pouvoir d'intention, il était sûr que, en cas de réussite, la quasi-totalité des membres du Grand Conseil seraient prêts à tenir leur parole. Ceux qui hésitaient encore se sentiraient trop isolés pour s'opposer à Bedren...
Ce résultat n'avait pas été simple à obtenir tant les méfiances étaient fortes vis-à-vis du grand maître. Mais cette guerre durait vraiment depuis trop longtemps. Ensuite, il avait fallu faire des promesses, donner des fonctions importantes à certains et, même, de fortes sommes d'argent à d'autres... mais le compte y était.
En fait, le seul dont Guirao n'arrivait pas à deviner les intentions était Bedren lui-même.
Il savait qu'il avait toujours sa confiance et que son idée d'échanger la paix contre le vote du Grand Conseil en sa faveur l'avait fortement intéressé. Mais pour le reste... Bedren avait une haute opinion de lui-même et il détenait, si besoin, les clés pour remporter la guerre : comment accepterait-il de négocier avec Zonthar ? Chercherait-il à utiliser son pouvoir de persuasion ? Jouerait-il simplement le jeu en acceptant de faire des concessions ?
Pour l'instant, Guirao devait retrouver Oudin et Labli qui étaient chargés de la sécurité du Palais pendant toute la durée de la rencontre. Il avait été convenu que Zonthar ne serait accompagné que par se cour et ses ministres : aucun soldat armé ne le suivrait dans l'enceinte du Palais.
En échange, aucun garde de l'armée Anlis ne serait non plus accepté à l'intérieur des murs. Oudin et Labli seraient donc surtout chargés de l'accueil et du cantonnement de l'escorte de Zonthar ainsi que de la sécurité extérieure du Palais.
En allant les rejoindre, Guirao croisa le chambellan Elkali, l'autre personne dont il n'arrivait pas à deviner les intentions. Il s'arrêta pour échanger quelques mots avec lui.
" - Alors, Elkali, tout est prêt pour que le protocole soit respecté dans les moindres détails ?
- Oui... Ça n'a pas été facile de concilier tous les petits désirs des personnalités réunies mais je pense n'avoir rien oublié.
- Peut-être que je me trompe, mais vous n'avez pas l'air réjoui que cette réunion ait lieu.
- C'est une surcharge de travail très importante mais, rassurez-vous, je m'en sortirai.
- C'est une conférence pour établir un traité de paix. Vous devriez être satisfait.
- Ce n'est pas mon rôle d'être satisfait ou pas des décisions politiques...
- Non mais, si la paix était signée, nous réaliserions le rêve le plus cher du vénérable Abror, n'est-ce pas ?
- Pourquoi me parlez-vous d'Abror ?
- Et bien... je sais que vous y étiez très attaché. Une fois la guerre finie, Bedren pourrait devenir son digne successeur.
- Je crois que ne vous connaissez pas grand-chose des personnes dont vous vous permettez de me parler. Abror, lui, ne s'est pas réveillé un matin avec l'idée bizarre de faire la paix après sept ans de guerre : il y pensait du plus profond de lui-même.
- Excusez-moi.
- Vous n'arriverez pas à m'amadouer ou à m'acheter comme vous l'avez fait avec les membres du Grand Conseil. D'ailleurs, je ne comprends pas pourquoi vous essayez de le faire.
- Je ne voulais pas vous offenser.
- Ce n'est pas la question. Une fois Bedren devenu Prince, vous pourrez tranquillement réfléchir à quelle sera votre récompense. En ce qui me concerne, sachez que si votre désir est de prendre ma place, je n'y ferai aucune objection. Au revoir, capitaine."

 

Comme prévu, les émissaires de Zonthar arrivèrent au Palais en début de soirée et Zonthar lui-même un peu plus tard.
Il avait été convenu qu'aucune négociation ne commencerait le soir de l'arrivée de la délégation Atlans : il s'agirait simplement d'une cérémonie de présentation et d'un repas pris en commun.
Pourtant, dès son arrivée, Zonthar voulut montrer clairement qu'il n'était pas venu en roi vaincu pour signer sa reddition.
Fanfare, costumes d'apparat, serviteurs de tous côtés... tout était préparé pour impressionner ceux qui pourraient douter de la puissance du roi. Bedren était assis sur le trône de la grande salle de réception. Guirao était debout près de lui. Au cours des (très longues) présentations, il reçut cette confidence :
" Il sait que nous avons pris l'avantage mais il fera tout pour ne pas l'admettre... Je n'aime pas cette attitude."
Malgré les longueurs, Bedren et les membres du Grand Conseil respectèrent à la lettre le protocole établi. Lors du repas, Guirao - qui n'avait pas de fonction officielle - ne fut pas installé à la table principale. Ocaris, elle, supervisait l'organisation des cuisines et du service à table : elle n'apparaîtrait pas de la soirée.
Guirao ne l'avait pas revue depuis qu'elle lui avait annoncé qu'elle était enceinte. Il avait juste eu le temps de l'embrasser. Il aurait aimé pouvoir en parler avec elle pendant des heures mais bon... il y avait fort à faire pour tous les deux.
En observant les convives, il comprit que la plupart des personnes à table n'étaient préoccupées que par le contenu de leurs assiettes. Seul un petit nombre, de part et d'autre, semblaient se soucier des discussions à venir. L'entourage proche de Zonthar paraissait tout de même assez nerveux.
Les deux personnes qui seraient au coeur des débats - Bedren et Zonthar - manifestaient des attitudes très différentes. Eux seuls savaient vraiment ce qu'ils voulaient et ce qu'ils étaient prêts à accepter pour l'obtenir.
Bedren dînait de manière digne et silencieuse. Face à lui, Zonthar donnait le change en parlant bruyamment et en menant plusieurs conversations à la fois. Guirao sentait que Bedren le détestait déjà.
" J'espère seulement que, à lui, il ne lui plantera pas un éclair entre les deux yeux..."
Il repensa ensuite à son entrevue avec Elkali... Il l'avait un peu provoqué pour observer ses réactions... En prononçant les noms d'Abror puis de Bedren, il avait bien compris qu'Elkali détestait le grand maître et le considérait comme l'usurpateur du trône d'Abror. Peut-être même se doutait-il de la vérité... Mais pourquoi alors était-il resté fidèlement à son service ?
" Quel personnage étrange. Peut-être pourrions nous agir ensemble si nous ne nous méfions pas tant l'un de l'autre... Je doute qu'un jour il accepte de me faire confiance."
Et puis, sans raison particulière, Guirao se rappela des rats dont Ocaris lui avait parlé le matin...
" Pourquoi a-t-elle rêvé de cela ? A moins qu'il ne s'agisse d'une épidémie, je ne vois pas en quoi ces bestioles pourraient être un présage intéressant."

 

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