3h54

"Je crois que je me suis endormi sur le bureau. Je vais essayer de terminer ça rapidement... mais je ne sais pas encore vraiment par quoi doit commencer la fin de l’histoire."


 

Cette nuit-là, les fantômes avaient disparu et Sami était seul.
Rien ne l'avait dérangé dans le bureau pendant qu'il rangeait tous les papiers, ni dans les escaliers, ni dans le couloir, ni dans sa chambre.
Comme d'habitude, il fut réveillé par l'écoulement du soleil au travers des volets, probablement vers 10h30. La nuit avait été peuplée de sentiments contradictoires qui l'avaient poursuivi tout au long de son sommeil : il était heureux d'avoir trouvé ce qu'il cherchait mais il était gêné d'en savoir trop.
Penser à Sabine le rendait fier. Penser à Jeannine le rendait furieux. Penser à son père, ou à sa grand-mère, le rendait... mal à l'aise.
Ce matin-là, il allait descendre prendre son petit-déjeuner au milieu de personnes qui n'étaient plus les mêmes que la veille. Ou, plutôt, c'était lui qui n'était plus le même. Tout cela était bien compliqué.
A partir de ce matin-là, il allait devoir mentir. Faire comme s'il ne savait rien... comme tout le monde.
En quittant sa chambre, et en longeant le couloir jusqu'aux escaliers, il se dit que, peut-être, quelqu'un s'était rendu compte de son expédition nocturne et des documents (la photo et la troisième lettre) qu'il avait dérobés. Si c'était le cas, comment chercherait-il à se justifier ?
Au fond, cette perspective le rassurait presque : il faudrait tout mettre à plat et ne plus jouer la comédie. Mais il sentit rapidement que, comme d'habitude, le silence et les sourires habituels l'attendraient au bas des marches. Comme elles, il savait mais, comme elles, il ne dirait rien.
"Pourvu, quand même, qu'il se passe quelque chose..."

 

Il s'installa dans la cuisine pour préparer son petit-déjeuner. Il entendait Jeannine s'occuper du linge dans le cellier. Mais elle entra brusquement, se lava rapidement les mains en murmurant et ressortit aussitôt... sans même lui adresser la parole.
Sami entendait son pas pressé, et ses murmures, passer d'une pièce à l'autre... puis elle vint s'asseoir à côté de lui et se servit une tasse de café.
"- Alors, tu as bien dormi ?
- Oui, bien... Grand-mère n'est pas là ce matin ?
- Non, madame est sortie faire ses courses... De toute façon, c'est ce qu'elle a toujours préféré faire."
Sami n'était pas habitué à ce genre de réponse. Elle était énervée, elle parlait vite et se tordait les mains. Elle avait les yeux rouges.
"- Tu es énervée...
- Non, tout va bien.
- Si, tu es énervée.
- Tu sais... les adultes se disputent parfois. Mais ce n'est pas grave... ça fait tellement longtemps qu'on se connaît maintenant."
"Longtemps" : ce mot résonna aux oreilles de Sami. Il se mordit les lèvres pour ne pas poser de question à ce sujet. Cette hésitation était la première de sa vie : il ne pourrait plus jamais lui adresser la parole sans réfléchir avant à chaque mot qu'il aurait à lui dire.
Et à ce moment-là, comme il ne savait pas quoi lui dire, il resta silencieux. Son règlement de compte avec elle attendrait donc. Restaient les révélations pour Sabine. Cette fois, c'est lui qui mènerait la discussion.

Il sortit dans le jardin et appela la mère de Sabine de l'autre côté du grillage. Il dut patienter cinq bonnes minutes avant que son amie ne daigne suspendre sa partie de jeu vidéo. Mais elle finit par venir.
"- Alors ?
- Alors, j'ai tout trouvé ! Des lettres, et même une photo.
- Alors, tu sais qui c'est.
- Oui, mais c'est assez compliqué. Il faut que tu viennes chez moi cet après-midi. Apporte un jeu de société, comme ça on nous laissera discuter tranquillement dans ma chambre.
- Ta grand-mère est au courant ?
- Non, c'est pour ça qu'il faut faire attention. Je t'attends tout à l'heure."
Sabine acquiesça simplement de la tête et retourna à sa console de jeux.
Sami rentra lui aussi et se dirigea vers le bureau. La clé était toujours sur la porte du secrétaire, rien n'avait été touché depuis sa visite. Lui seul, donc, savait. Il fixait des yeux le secrétaire : cela avait été si simple. Et Jeannine était occupée : il aurait pu recommencer.
Il décrocha le téléphone et composa le numéro de son appartement. Quand son père répondit, il se rendit brutalement compte qu'il n'avait pas encore réfléchi à ce qu'il pourrait lui dire. Son visage dans le miroir lui montra qu'il valait mieux ne rien révéler pour l'instant.
"C'est moi... Vous allez bien ?" Après les questions d'usage, son père amena la conversation sur les travaux de l'appartement, l'état de sa chambre et tout ce qui restait à faire. Le soulagement de Sami fut immense et son visage se détendit. Il se contenta de répondre par oui ou par non ; il put raccrocher sans avoir eu à dire quoi que ce soit d'embarrassant.
Depuis son réveil, il n'avait d'ailleurs quasiment rien dit à personne. Mais chaque conversation avait déclenché chez lui des émotions qu'il trouvait de plus en plus épuisantes. Il décida alors d'attendre l'heure du déjeuner en regardant la télé.

 

4h21