21h43

"Ça va un peu mieux. Avec des dialogues, le récit va plus vite. Il faudrait quand même que j'essaie de me relire."


 

Pour Sami, quelle que soit l'époque de l'année mais plus particulièrement pendant les vacances, c'était le soir, dans son lit, que venaient les questions les plus intéressantes... au moment où, d'ailleurs, il ne pouvait plus les poser à personne.
"Ton père ne te l'a pas dit... Tout le monde trouvait ça normal..." Sami ne connaissait pas son grand-père. Seulement une photo que son père gardait sur son bureau. Mais "l'autre grand-père" ? Il n'en avait jamais parlé...
"Il est mort pendant la guerre... Il est mort quand tu es né." Il se souvenait aussi d'une autre conversation qu'il avait eu avec sa mère : "Mais, alors, il ne m'a jamais vu ? Oui, il t'a vu car, le jour de ta naissance, papa a pris une photo de toi, il l'a envoyée à grand-mère et elle a pu lui montrer... Et il est mort juste après ? Il est mort deux jours plus tard, il a dit qu'il te trouvait très beau." Les photos, d'habitude, c'est quand les gens sont morts et qu'ils vous regardent...

 

En vacances, Sami se réveillait seul, à n'importe quelle heure. Le matin, il essayait de déduire l'heure de son réveil d'après la longueur des raies de lumière qui filtraient à travers les volets de bois. Quand les sillons lumineux atteignaient le lit, il était en général plus de dix heures.
Ce matin-là, quand Sami se leva bien après dix heures, sa grand-mère était déjà sortie, comme souvent, « faire des courses » (l'expression le faisait toujours sourire, en imaginant la vieille dame en train de courir), et ce fut Jeannine qui lui prépara son petit déjeuner dans la cuisine.
Au programme de la journée, Sami avait surtout prévu de retrouver Sabine, la fille de la maison d'à-côté. Encore une habitude. Elle avait son âge, même un petit peu plus. Il avait déjà des choses à lui raconter.
Et il y avait aussi les révélations que sa grand-mère lui avait promises. Pour le reste de la journée, rien n'était prévu... mais Sami n'envisageait jamais la possibilité de s'ennuyer quelque part.
« Tu devrais d'abord téléphoner à tes parents », suggéra Jeannine.
Il était près de 11 heures et Sami sortit de table pour se rendre dans la chambre-bureau. Il composa le numéro de chez lui sur le vieux téléphone (vieux, c'est-à-dire avec un fil qui vous empêche de marcher en parlant).
Dans cette pièce, par contre, il aimait beaucoup le grand miroir posé face à la table : il permettait de faire des grimaces pendant les discussions sérieuses au téléphone.
Sa mère répondit au bout de quatre ou cinq sonneries, au milieu d'une sorte de vacarme industriel. Elle prit quelques secondes pour s'isoler du bruit et lui demanda de répéter ce qu'il venait de dire.
« C'est toi, Sami ? Comment ? Parle plus fort, s'il te plait... Tout va bien avec ta grand-mère ?  »
« Oui, ça va bien... Non, grand-mère est sortie faire des courses... Tu savais qu'en fait grand-père n'était pas le vrai père de papa ?... Grand-père n'est pas le vrai père de papa. Tu le savais ? C'est grand-mère... Elle m'a dit qu'elle s'était mariée une première fois... avec un aviateur qui a disparu pendant la guerre... C'est curieux, non ? Moi, j'en savais rien du tout... Oui, mais toi, tu le savais ? Faudra que papa m'en parle... Grand-mère a aussi dit qu'elle me montrerait des photos que je n'ai jamais vues... »
A cause du bruit, la conversation était vraiment difficile. Il sentit que sa mère essayait de s'isoler du mieux possible mais qu'elle préférait finir rapidement la conversation.
« Écoute, Sami... En fait, c'est plus compliqué que ça... et c'est long à expliquer... Il y a trop de bruit, dis-moi juste comment tu vas... Non, je ne sais pas qui c'est et, surtout, tu n'en parles plus à ta grand-mère... parce que tu risques de l'énerver... N'en parles plus et j'essaierai de t'expliquer à la maison !... Parce que papa ne sait pas non plus... Non, enfin... Bon, joue avec tes jeux et je te rappellerai dans la journée, là il y a trop de bruit. A plus tard mon chéri. »

Avec le combiné sur l'oreille, face au miroir, Sami resta de longues secondes à se regarder... Il entendit à peine sa mère raccrocher mais le bruit du marteau-piqueur résonnait encore dans ses oreilles. Pourquoi ne pas en parler ? Ne pas en parler du tout ? Papa ne sait pas... Tu risques de l'énerver... Décidément, il était temps d'aller dans le jardin pour discuter de tout ça.

 

22h05